AVEC SES POTES DE SHABAZZ PALACES, THEESATISFACTION IMPOSE SEATTLE COMME UN NOUVEAU TEMPLE DU HIP HOP. UN HIP HOP BLACK INVENTIF ET FUTURISTE TOURNÉ VERS LE MONDE.

Célèbre pour ses Nuits blanches, Seattle a marqué de sa portuaire et indélébile empreinte l’histoire de la musique. Ville natale du plus grand génie de la guitare électrique (Jimi Hendrix) et tanière de l’un des rockeurs les plus tourmentés par le succès que le rock ait connu (Kurt Cobain), celle que l’on surnomme la porte de l’Alaska est aujourd’hui devenue le berceau de nouveaux artistes, aventureux et avant-gardistes, à leur tour désireux de bousculer les codes et de redessiner les frontières. A la croisée des chemins menant au hip hop, à la soul, au jazz et au r’n’b, s’active ainsi THEESatisfaction. Avec EarthEE, disque puzzle comme beaucoup ont tenté d’en enregistrer ces dernières années, Stasia Irons et Catherine Harris-White signent un album extraterrestre aux allures de manifeste musical, politique et existentiel. Coupe iroquois pour l’une, coiffure afro pour l’autre, les deux jeunes femmes accueillent au bar de leur hôtel texan en plein South by Southwest. « Il est particulièrement compliqué quand tu es black et lesbienne de pénétrer l’industrie de la musique. Tu n’imagines même pas, expliquent-elles d’une voix. Ce milieu est géré par un petit nombre de gens. Des gens que nous ne sommes pas. Soit des hommes blancs hétérosexuels. Tout le monde essaie de t’entasser dans des cases toujours trop étriquées pour toi. De t’associer à des communautés qui ont parfois beaucoup de mal avec ce que tu es. Tu as les Noirs qui ne comprennent pas ton homosexualité. Puis ces queer people qui ont du mal avec ta couleur de peau et pour qui nous n’étions pas assez extraverties. Et d’autres, machos, qui te disent que tu es une femme et donc que tu ne peux pas produire tes disques. Tu as parfois l’impression d’être une balle de ping pong mais ça en devient bénéfique. Ça te mène à créer ton propre petit monde. »

Celui de THEESatisfaction est intimement lié à l’écologie et à la science-fiction. Et pas seulement parce que sa musique a ce quelque chose d’aussi futuriste qu’intemporel. « Nous sommes des êtres humains. Nous vivons sur cette terre et, contrairement à d’autres, nous la respectons. Mais nous lui sommes étrangers aussi quelque part. Sur ce disque, nous avons voulu prendre du recul. Jeter un regard extérieur sur cette planète. Un peu comme si nous étions des extraterrestres. Ça permet de réaliser que tout ce que tu fais affecte ton environnement. Nous avons toujours été habitées par ce sentiment. Cette idée d’appartenir à ce monde mais pas vraiment. »

En bossant sur EarthEE, les filles, branchées méditation, avouent avoir beaucoup regardé le cosmos et avoir écouté Sun Ra davantage encore que d’habitude. « L’un de mes professeurs à l’université, le tromboniste Julian Priester, a joué dans l’un de ses premiers groupes, raconte Cat. Sun Ra m’a tout de suite beaucoup intéressée tout en me rendant à la fois confuse et effrayée. J’ai pas mal regardé les Star Wars, les Star Trek… J’étais vraiment branchée science-fiction et cette expression de la sci-fi à travers le jazz, j’ai trouvé ça génial. Nous sommes fans de Total Recall mais nous avons aussi beaucoup maté La Quatrième Dimension. C’est assez fascinant. Ce n’est pas toujours bien loin de ce que nous vivons… »

Blackitude des choses

Parliament. James Brown, Missy Elliott, Michael Jackson, Sun Ra, Earth, Wind & Fire, Stevie Wonder, Erykah Badu… Qu’elles évoquent leurs références, leurs influences, la musique qui a bercé leur enfance, Irons et Harris-White, qui ont intitulé un titre de leur nouvel album Post Black Anyway, puisent dans les musiques noires. « Nous touchons à tout je pense. Sauf peut-être à la country. Nous aimons ce qui nous permet de nous sentir bien. Peu importe le genre. La soul, le r’n’b, le jazz, le hip hop font partie de notre ADN. Nous sommes nées et avons été nourries avec ces types de sons. Ils ont infusé en nous et ils participent à notre alchimie. Puis au-delà des disques enregistrés par ces artistes, leur manière de les transposer sur scène nous parle. Nous avons toujours été beaucoup influencées par la danse et les chorégraphies. »

Blackitude des choses, solidarité afro… THEESatisfaction a signé sur Sub Pop (label historique de Nirvana, Mudhoney, Soundgarden) après avoir participé à l’album Black Up de Shabazz Palaces. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Cat et Stas voient des connexions entre le grunge et leur travail. « A l’époque, les gens ne comprenaient pas trop de quoi il s’agissait. Cette musique allait fort. Etait dépressive. Il a fallu du temps pour que les auditeurs captent vraiment. Nous, nous incorporons certains éléments grand public dans notre musique mais elle a beau nous sembler très naturelle, je n’ai pas le sentiment que les gens comprennent ce qu’on fait. Qui sait? Peut-être dans dix ans? On est bien pour l’instant avec nos petits concerts et notre noyau de fans. »

Les deux jeunes femmes qui s’étaient rencontrées en 2008 dans un open mic de Seattle vivent aujourd’hui entre leur Queen City et Brooklyn. Leur séparation en tant que couple à la ville aurait pu mettre un terme au projet. Il n’en fut rien. « Evidemment, nous nous sommes posé des questions, achève Stas. Nous avons dû faire un break. Nous repenser en tant qu’individus. Mais au final, ça nous a ouvert de nouvelles possibilités et a rendu notre musique plus libre encore. »

THEESATISFACTION, EARTHEE, DISTRIBUÉ PAR SUB POP.

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TEXTE Julien Broquet À Austin

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