Sous la maison, le trip

Jesse Jacobs réinvente les paradis artificiels via un lave-linge, des figures géométriques et une explosion de couleurs. La meilleure BD psyché de l’année!

Attention les yeux! Le premier contact avec le nouveau roman graphique du Canadien Jesse Jacobs (paru comme les précédents aux excellentes éditions Tanibis) est d’abord et avant tout visuel. Une couverture dont on pourrait croire qu’elle a été réalisée sous LCD, et des premières planches qui semblent tenir de l’abstraction la plus complète et bien « high » également: des taches et des strates de couleurs qui forment et déforment des figures géométriques hypnotisantes et faussement anarchiques. Un univers new age exploré par une Alice qui en aurait fumé de la bonne, et qui aurait troqué son pays des merveilles pour un paradis perdu particulièrement acidulé. Cette Alice se nomme ici Daisy. Et si la voie de l’éveil intérieur est longue, délicate et habituellement accessible aux seuls esprits éclairés, certains possèdent, comme Daisy, au fond de leur lave-linge, sous la maison, un raccourci qui conduit directement de l’un à l’autre: de la monotonie monochrome des « suburbs » américains à ce jardin d’Eden des géomètres, des esthètes et des auteurs bien allumés! Mais, à l’instar de sa jeunesse, l’innocence des voyages de Daisy n’aura hélas qu’un temps. Ce monde coloré, tout en formes et merveilleux pour les mirettes sera bientôt envahi par d’autres adolescents, moins sensibles qu’elle…

Sous la maison, le trip

Fable ou métaphore

Que cet album tienne de la fable psychédélique et intello sur la fin de l’innocence, de la métaphore pleine d’humour et de subversion autour des paradis artificiels, ou sans doute un peu des deux, peu importe: les amateurs de BD « différentes » ne doivent manquer cet étonnant Sous la maison sous aucun prétexte, si ce n’est peut-être l’épilepsie. Leurs rétines ne peuvent en effet pas rester insensibles aux arcs-en-ciel hypnotiques et autres mandalas, tous extrêmement graphiques, inventés et dessinés par le jeune et surdoué Jesse Jacobs. Un auteur à suivre, car son véritable talent consiste ici à mettre pleinement son inventivité graphique au service de son histoire. Sous la maison ne serait en effet qu’un bon trip si Daisy ne sortait pas de temps en temps de son lave-linge pour se confronter au monde réel, soudainement encore plus gris et plat que les monochromes de Jacobs, quand celui-ci « retombe » -mais ce n’est pas le bon mot- dans les codes plus classiques de la BD indé américaine. On se surprend alors, malgré les séquences tenant de l’abstraction, à suivre un récit d’une grande fluidité, très bien construit narrativement et petit à petit très émouvant. Un conte psychédélique qui s’achève, contrairement aux mauvaises descentes, sur une lueur d’espoir: si la jeunesse et l’innocence sont à jamais perdues, il suffit parfois d’en conserver des bribes pour en ressentir les effets -et c’est mieux que n’importe quelle drogue.

Sous la maison

de Jesse Jacobs, éditions Tanibis, 96 pages.

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