AVEC SON PREMIER ALBUM, L’ANGLAISE LAURA MVULA DONNE UNE VERSION DÉCOIFFANTE DE LA SOUL MUSIC, BOOSTÉE AUX GRANDES ORCHESTRATIONS ET AUX CHOEURS BOMBASTIC. ENTRETIEN AVANT SON PASSAGE À ROCK WERCHTER.

L’endroit d’abord. Le Carmen, bar select en bas de Pigalle, est un ancien hôtel particulier, classé monument historique. Bizet y aurait écrit son fameux opéra, avant que le lieu ne se prête à des activités plus… libertines. Le décor est hautement rococo: colonnades, moulures, fresques vaguement XVIIIe, lustres en cristal… N’importe quelle autre chanteuse étiquetée « soul » s’y serait sentie légèrement décalée. Pas Laura Mvula, venue donner ici un show-case intimiste. Dans le salon, tout en velours et dorures, pas un seul laptop, mais plutôt ce qui ressemble à un orchestre de chambre: une violoniste (la soeur de Laura Mvula), un violoncelliste (son frère), une harpiste, et un contrebassiste.

Et elle donc, assise derrière le piano. Façon diva d’ébène, avec ses talons aiguilles interminables et des cils si longs qu’ils semblent prêts à s’envoler d’une seconde à l’autre. Il y a là de la distinction, qui pourrait passer pour de la froideur. Quand on la rencontre, il ne faut pourtant que quelques secondes pour que l’image distante se fissure. Laura Mvula pratique volontiers l’humour auto-flagellatoire. Comme une forme de modestie, mais aussi d’étonnement permanent: la chanteuse ne semble toujours pas réaliser ce qui lui arrive, elle qui, il y a un an à peine, bossait encore comme réceptionniste au Birmingham Symphony Orchestra et qui se retrouve aujourd’hui invitée sur le prestigieux plateau télé de Jools Holland. « L’exposition est une drôle de donnée à gérer. Je suis passée du stade de quasi-inconnue à ce… truc que je vis pour l’instant, je ne sais pas trop comment l’appeler! » (rires).

Drama queen

L’apparente vulnérabilité de Laura Mvula -« je suis une drama queen à tendance mélancolique » (rires)- contraste avec l’assurance que dégage Sing to the Moon, sorti il y a quelques semaines. Il sera en effet difficile de trouver cette année premier album aussi abouti et maîtrisé (parfois trop?). Audacieux aussi, dans sa manière d’aborder la soul, lui greffant de luxuriantes orchestrations boisées -on n’est pas loin des symphonies à la Bernstein ou des soundtracks Disney période Fantasia ou Livre de la Jungle (That’s Alright). Les éléments jazz percolent également, mais plus encore le gospel: Sing to the Moon est boosté aux harmonies vocales façon Beach Boys -dès les premières secondes du disque, l’auditeur est submergé, douché par un torrent vocal élégiaque (Like the Morning Dew).

Un héritage familial, sans doute -sa tante dirige le groupe vocal Black Voices. Elle-même a pris en main la direction du Lichfield Community Gospel Choir (quelque 80 chanteurs) avec son mari, le baryton d’origine zambienne Themba Mvula. Née Laura Douglas (1987), elle a grandi « dans un foyer très religieux« , un noyau « soudé, où il y avait énormément d’amour« . Une famille très musicale aussi. Elle apprend un peu de violon, du piano. « Mais je n’étais pas une virtuose. » Elle rentre malgré tout au conservatoire de Birmingham, en ressort avec un degree en composition. « Autour de moi, il y avait tous ces musiciens jazz, ou ces mecs qui bidouillaient des trucs électroniques de dingue. J’avais aussi une copine, dont le père était chef d’orchestre, et qui composait elle-même des sortes de symphonies! Et puis, il y avait moi… Qui bossais sur mes trois petits accords pendant une semaine, et puis qui envoyais tout valser. » (rires).

A la fin du cursus, son école lui propose quand même un Erasmus: sept mois, à New York. « J’étais terrifiée, je n’étais jamais partie si loin de ma famille. » Au bout de la demi-année passée aux Etats-Unis, l’association des étudiants lui demande de faire un discours de départ. « A la place, j’ai proposé de jouer une chanson. Je n’avais jamais fait ça! Le fait d’être à des milliers de kilomètres de chez moi m’a enlevé la pression. Je me suis lancée. Et à ma grande surprise, je ne me suis pas effondrée. »

Après ses études, elle crée son propre groupe neo-soul (« je venais de découvrir Jill Scott et Erykah Badu, j’étais complètement sous influence« ), mais l’expérience ne dure pas. Elle travaille également comme prof de musique: « Je me suis enfuie après un an, je ne maîtrisais pas du tout la situation, ni mes élèves. » (rires). Laura Mvula est coincée. Entre-temps, ses parents ont divorcé –« je n’aime pas trop en parler, mais cela a été un vrai choc ». Elle n’a plus le choix: elle va devoir gratter en elle, s’isoler pour trouver l’issue. « J’ai pas mal d’amis assez doués pour créer leur propre espace, leur indépendance. J’ai longtemps envié cette aptitude. Jusqu’ici, c’était quelque chose que j’avais du mal à faire, de peur de perdre les autres, de ne plus être aimée… »

Dans l’impasse, elle finit malgré tout par se lancer. « J’étais seule, dans ma chambre, avec un micro, un clavier et mon laptop. C’est là que j’ai pondu She et Green Garden. Pour la première fois, je me sentais libre! » Au point d’envoyer ses démos à gauche et à droite, et de finir par trouver un deal avec la major RCA (Sony). La voilà donc cette confiance et cette liberté que l’on entend sur Sing to the Moon, produit par Steve Brown –« Il m’a dit notamment de me contenter de suivre mon instinct. Cela m’a fait un bien fou. Venant d’une famille où la musique était la chose la plus naturelle qui soit, on n’avait jamais pris la peine de me dire une telle évidence. »

L’instinct, c’est bien ce qu’essaie aujourd’hui de conserver Laura Mvula, malgré la roue du succès qui s’emballe. Dans Make Me Lovely, elle chante: « Don’t want the world and lose my soul. » « Je vais devoir apprendre à dire non. Ado, j’étais obsédée par l’idée de devenir quelqu’un que les autres allaient éventuellement pouvoir accepter. Aujourd’hui, je veux résister à la tentation de correspondre à un idéal. Et apprécier la musique, et le fait d’être dans ma propre peau, littéralement parfois. »

LAURA MVULA, SING TO THE MOON, DISTRIBUÉ PAR SONY. ***EN CONCERT À ROCK WERCHTER, LE 04/07.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS, À PARIS

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