LA CHERCHEUSE FÉMINISTE LINDA WILLIAMS RETRACE L’HISTOIRE DE LA SEXUALITÉ SUR LES ÉCRANS AMÉRICAINS À COMPTER DES ANNÉES 60. UNE ENTREPRISE PASSIONNANTE.

Screening Sex

DE LINDA WILLIAMS, ÉDITIONS CAPRICCI, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR RAPHAËL NIEUWJAER, 264 PAGES.

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On trouve, en couverture de Screening Sex, premier ouvrage de la chercheuse féministe américaine Linda Williams traduit en français, une vignette montrant Jane Fonda dans le Barbarella de Roger Vadim (1968). Et pour cause, l’actrice incarnant, aux yeux de l’auteure, l’un des maillons essentiels de la représentation de la sexualité à l’écran –« la plupart de ses rôles célèbres font converger de façon spectaculaire l’éthique prosexe et antiguerre qui marqua le tournant des années 70 », écrit Williams, avant d’ajouter: « Jane Fonda fut de fait la première actrice à incarner des personnages dont les orgasmes importaient. »

L’obscénité et le titillement

Inscrivant sa réflexion dans la lignée de penseurs divers -les Michel Foucault, Walter Benjamin et Sigmund Freud, notamment-, l’auteure couvre une période courant du début des années 60, soit le moment où le cinéma américain sortait de sa longue adolescence (objet, dans la version originale, d’un chapitre non repris ici), à l’apparition « récente » de nouveaux médias. Il y a là un champ d’exploration particulièrement fécond, étayé de diverses analyses filmiques fouillées, Williams expliquant, en marge d’un vaste appareil théorique, avoir préféré « aux plans larges, les plans rapprochés sur quelques films novateurs de chaque période ».

S’il s’avère par moments aride, l’essai en résultant est surtout passionnant, qui balise l’histoire de la sexualité sur les écrans américains sur un demi-siècle, à compter du moment où « à la suite des films européens, plus sophistiqués sur ce point, le cinéma américain a cherché des moyens prudents d’aller jusqu’au bout, tout en restant du bon côté de la barrière séparant l’obscénité et le titillement. » Dans la foulée, c’est comme si une histoire parallèle du cinéma s’esquissait, dont Williams retrace les étapes les plus significatives -ainsi, par exemple, du rôle de pionnier de The Graduate, de Mike Nichols (1967), dans la mise à l’écran du sexe jusqu’alors confiné pour l’essentiel à la parole; ou encore, plus tard, de l’impact de Blue Velvet, de David Lynch (1986), et autre Brokeback Mountain, d’Ang Lee (2005), deux films par lesquels « les fantasmes originaires ont été amenés jusqu’au coeur du foyer américain ». Chemin faisant, la scientifique explore des territoires nombreux (Blaxploitation, avant-garde ou autre cyberpornographie notamment), tout en débordant à l’occasion du cadre américain -ainsi salue-t-elle le rôle précurseur d’un Almodovar s’agissant de braver les tabous-, ou questionnant le glissement du grand au petit écran, comme le floutage grandissant, nouvelles technologies aidant, des frontières entre public et privé. Manière encore d’inscrire sa réflexion sur la dynamique ayant conduit la sexualité, d’obscène, à devenir « en/scène », dans un mouvement plus vaste…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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