Servir le peuple

Alex W. Inker fait partie de ces graphistes qui aiment fondre leur dessin dans l’époque qu’ils évoquent. Après les années 30 et 50 américaines, il s’attaque à l’adaptation du roman éponyme Servir le peuple de Yan Lianke, situé dans la Chine de la révolution culturelle. L’auteur chinois fut soldat dans l’Armée populaire de libération et devint écrivain officiel de l’armée. Il n’est donc pas question ici d’une quelconque critique du régime. Petit Wu, paysan naïf ayant été à l’école, intègre l’armée, poussé par des cadres du parti pressentant un certain potentiel chez ce jeune homme exemplaire. Il entre sous les ordres d’un colonel pour qui il s’acquitte de ses tâches avec une solide conscience politique. Vient le jour où le colonel doit se rendre à Pékin, confiant à Petit Wu la maison et la mission de servir son épouse comme il le servit lui-même. Mais comment interpréter dans la bouche de la jeune femme de son supérieur le célèbre slogan de la révolution culturelle  » tu dois servir le peuple« ? Voilà Petit Wu gagné par le doute, pris entre son devoir envers le gradé et l’accès à tous les désirs de l’épouse de celui-ci. Alex W. Inker fait de cette belle adaptation un récit particulièrement sensuel. Le travail d’ordonnance de Petit Wu se résume, au départ, à cultiver le jardin et préparer le repas du colonel et de sa femme. L’auteur parvient à nous mettre l’eau à la bouche en dessinant la découpe des différents ingrédients et l’élaboration des recettes. De même, la représentation des corps laiteux et transpirants n’est pas étrangère au trouble qui gagne peu à peu le lecteur. Pour parachever l’emballage, cette bande dessinée fait penser, graphiquement, aux productions intemporelles d’illustrés de la Chine populaire, reproduisant même les imperfections dues à la mauvaise qualité du papier.

Servir le peuple

De Yan Lianke et Alex W. Inker, éditions Sarbacane, 216 pages.

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