HÉRITIER DE GIL SCOTT-HERON, TED JOANS ET FELA, ANTHONY JOSEPH NE SORT PAS UN MAIS 2 RUBBER ORCHESTRAS. UN DISQUE GROOVY TEINTÉ DE ROCK ET DE SOCA DOUBLÉ D’UN RECUEIL DE POÈMES À LA FOIS SURRÉALISTES ET POLITIQUES.

« Je ne me considère pas comme un chanteur. Je me vois comme un poète qui chante un peu.  » Pour reprendre une citation de son idole Ted Joans, l’un des rares poètes et musiciens afro-américains associé à la Beat generation,  » Anthony Joseph doesn’t sing the words. Anthony Joseph swings the words« .  » Ted Joans écrivait de manière surréaliste, avec une esthétique black sixties. C’était un hipster. Un mec funky qui récitait de la poésie expérimentale, résume l’artiste trinidadien exilé depuis plus de 20 ans à Londres. Joans a exercé une influence énorme sur mon écriture et mes performances. Quand je l’ai découvert, ce fut une révélation. Il était comme moi. Il avait la peau noire, vivait en Europe et écrivait de la poésie hip et black.  »

C’est à Joans qu’Anthony Joseph a emprunté le titre, Rubber Orchestras, de son nouvel album et de son prochain recueil de poèmes (parution prévue en novembre) dont pratiquement tous les morceaux ont été tirés.  » L’eau peut devenir tout ce que tu veux. Que tu en mettes dans une bouteille ou un verre, elle en prend la forme. Le caoutchouc, c’est la même chose. Flexible, jamais statique, il devient toujours lui aussi quelque chose qu’il n’est pas. Ça correspond à ce que j’attends de mes textes.  »

Bird Head Son (2009) est un disque très autobiographique. Sans doute ce qu’Anthony Joseph a sorti de plus traditionnel. Avec Rubber Orchestras, il replonge dans l’expérimentation.  » Je voulais repousser les frontières du surréalisme. Aller le plus loin possible. Ecrire une poésie qui surprenne, qui interpelle. A chaque ligne, à chaque phrase, à chaque mot. La poésie est trop souvent prévisible. J’aime ne pas saisir, ne pas comprendre clairement ce que les mots disent. »

There’s a riot…

Le Londonien d’adoption s’est créé une technique de poésie évolutive et a, en 2 ans, écrit une centaine de poèmes. Ses textes abordent l’histoire coloniale des Caraïbes, l’héritage amérindien, le passé africain. Il les a enregistrés à Londres, dans le quartier pauvre et métissé de Dalston.  » Cet environnement a procuré à l’album son côté engagé. Quand beaucoup de démunis vivent ensemble sur un petit espace, il y a toujours beaucoup d’énergie et de tensions.  »

Les émeutes qui ont ébranlé l’Angleterre ont d’ailleurs commencé pas bien loin de là.  » Che Guevara développait cette idée dans son bouquin Guerrilla Warfare: qu’on ne doit pas avoir peur des tanks et des grandes armées parce qu’ils peuvent être facilement renversés. Des petits groupes de gens qui travaillent ensemble peuvent retourner un gouvernement si tant est qu’ils ont le soutien de la population. C’est malheureux parce que la révolution, le soulèvement, la réaction élèvent nos sociétés mais ces émeutiers ne visaient pas l’intérêt collectif. Ces mecs étaient des opportunistes qui ont volé, détruit leur propre communauté. Leurs propres magasins. En attendant, le politique et la police ont compris qu’il fallait faire attention. Que le peuple a toujours le pouvoir de se délivrer.  »

Né à Port of Spain en 1966, le jour du Diwali, fête hindoue qui célèbre le passage de l’obscurité à la lumière, Anthony Joseph n’a pas juste modifié sa manière d’écrire. Avec Rubber Orchestras, il a aussi cherché à explorer d’autres univers musicaux.  » J’avais toujours rêvé d’enregistrer une musique qui me rappelle cette période à Trinidad, au milieu des années 70, où la soca, un type de calypso rythmique et up tempo, fusionnait avec le funk. Les mecs chez nous écoutaient Fela, James Brown et ont insufflé ces éléments africains et groovy dans la musique trinidadienne. Started off as a dancer et Tanty Lynn sont des hommages à cette époque.  »

La soca, Anthony Joseph, qui recommande vivement Mighty Shadow et Lord Shorty, l’écoutait à la radio.  » C’était la musique du jeune Trinidad. Fraîche. Ouverte sur le monde. Pas le genre musical d’une petite île refermée sur elle-même. Nos musiciens enregistraient d’ailleurs à New York avec des groupes funk.  »

Il n’en reste pas grand-chose à Port of Spain, où ne subsiste qu’un seul magasin de vinyles.  » Il est petit, sale, pue. Tout est entreposé n’importe comment. C’est un peu comme en Afrique. Tout le monde s’en fout. Tout le monde veut le nouveau truc branché.  »

Ce que désirait Anthony Joseph, lui, avec son troisième album, c’était un disque calypso et rock. Rappelant qu’à son arrivée à Londres, il jouait dans un groupe à la Bad Brains.

Special(s) guest…

S’il a recruté quelques nouveaux musiciens, Anthony Joseph s’est aussi fait produire par Malcolm Catto. Batteur et leader des Heliocentrics.  » On a le même âge. Il est dans le vintage. Aime les mêmes artistes que moi: Fela, James Brown, Hendrix, Miles Davis. Et en même temps, il se projette dans le futur, l’électronique, l’avant-garde. Le type idéal quand on veut rendre hommage au passé et aller de l’avant.  »

Rubber Orchestras a aussi requis l’aide de Jerry Dammers, le fondateur des Specials.  » Il voulait à tout prix produire la chanson Generations: « Ne laisse personne y toucher. S’il te plaît, s’il te plaît. C’est ma chanson.  » J’avais peur qu’il débarque et dise: « Buvons du Jack Daniels, enregistrons en une seule prise.  » Il est au contraire très méticuleux. Je n’aimais pas trop la première version qu’il a proposée, mais la deuxième est géniale. Quand il l’écoute, il pleure.  » l

TEXTE JULIEN BROQUET

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