DE KENDRICK LAMAR À A$AP ROCKY, UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE RAPPEURS REDONNE UN COUP DE NIAQUE AU GENRE. WORD!

Bruxelles, juin dernier. Dans les coulisses de l’Ancienne Belgique, enfoncé dans un divan, A$AP Rocky tire une grosse bouffée de son spliff. « Le visage du hip hop est en train de changer. Le monde en général est en train de changer. Il y a une nouvelle génération qui est en train d’arriver, qui en a marre de tous ces stéréotypes. Je veux la représenter. » Cause toujours et pass, pass le oinj? Derrière ses volutes de cannabis, A$AP Rocky, 24 ans, n’a pourtant pas tort. Le rappeur d’Harlem symbolise en effet une nouvelle génération hip hop. A la fois consciente de l’héritage du mouvement et décomplexée par rapport aux superstars du genre. Assez confiante en elle pour livrer ses névroses, entre binge drinking et Playstation, weed et pilule d’Adderall. Ouverte aussi aux autres musiques, couleurs, genres… – merci encore leNet et le monde à portée de clic. Hier, c’était par exemple Azealia Banks, elle aussi originaire d’Harlem, qui buzzait (en rappant sur un morceau dance made in Belgium…). Ou encore le collectif Odd Future qui venait secouer le cocotier et tisser sa toile. Aujourd’hui, il est question un peu partout de Earl Sweatshirt, Joey Bada$$, Schoolboy Q, Main Attrakionz, Angel Haze, ou encore Kendrick Lamar. A 25 ans, ce dernier affole la critique et cartonne dans les charts américains avec son album, good kid, m.A.A.d. city, sorti le mois dernier. « Le Nas de notre génération », insiste encore A$AP Rocky. A quoi ressemble exactement cette nouvelle vague? Celle emmenée par les crack babies – référence aux années 80, décennie de leur naissance, qui a vu le crack envahir les ghettos noirs… Le rap 2.0 ? Cinq clés pour comprendre…

ESPRIT COLLECTIF. Odd Future, le groupe d’agités mené par Tyler The Creator, avait donné le ton: aujourd’hui, le hip hop se déplace à nouveau en bande. Exemple: les gars d’A$AP Mob, qui traînent forcément avec A$AP Rocky, The Progressive Era dont le membre le plus connu est Joey Bada$$, ou encore la dream team Black Hippy, rassemblant notamment Lamar, Schoolboy Q ou encore Jay Electronica. Fini donc l’individualisme à tout crin. L’ego-trip reste un genre prisé, mais semble être devenu une simple figure de style. Le collectif sert à rassembler les forces, mini-structure qui permet de conserver une certaine autonomie par rapport aux labels. Mais c’est peut-être aussi plus simplement un retour à l’esprit de base du hip hop, son état d’esprit initial, explique Kieran Yates, dans le Guardian: traîner avec les potes et passer les meilleurs moments de sa vie…

MIXTAPE. Comment se faire connaître? Comment réussir à se faire entendre par des maisons de disque souvent à l’agonie et peu enclines à prendre le risque de signer de nouvelles têtes? Depuis quelques années, la mixtape est devenue l’outil idéal de promotion. Règle d’or: les morceaux sont mis à disposition gratuitement sur le Net. Quitte à être commercialisés par la suite par un label « officiel »… A cet égard, 2012 aura ainsi consacré des projets comme ceux de Kendrick Lamar, Frank Ocean ou encore plus récemment The Weeknd… Pour autant, la mixtape reste une manière d’exercer sa liberté artistique, d’essayer des choses, sans forcément brader son talent – « de toutes façons, je conçois chaque projet comme un album », insiste Lamar.

ONE NATION UNDER A GROOVE. Rejeté dans le coin, coincé dans la marge, le rap a longtemps bombé le torse, distribué les mandales -y compris dans ses propres rangs, miné par des querelles intestines, West Coast vs East Coast, Nas vs Jay Z… Aujourd’hui, les choses ont évolué. Le hip hop est devenu le mainstream, esperanto musical. La guerre des gangs est enterrée: l’Angeleno Lamar traîne par exemple dans ses clips avec un sweat « I Love NY ». Mais l’ouverture va bien plus loin. Sur HiiiPower, le même Kendrick Lamar cite les héros noirs Malcolm X, Marcus Garvey ou Martin Luther King, mais rejette toute crispation communautaire. « Je ne voulais surtout pas en faire un truc racial, expliquait-il l’an dernier au magazine Complex. J’ai fait ce titre avec un plus grand objectif en tête, celui d’être au-dessus de toute cette merde, comme l’ont fait ces personnalités. Donc quand je dis HiiiPower , je représente ceux qui essaient d’échapper au négatif dans ce monde et tentent de faire quelque chose de positif de leur vie. »  » Fuck your ethnicity« , insiste-il encore en ouverture de son album Section. 80

Autre nouveauté: milieu souvent stigmatisé pour son homophobie plus ou moins avouée, le hip hop est en train de virer sa cuti. Issu du collectif Odd Future, tout comme la rappeuse lesbienne Syd The Kid, le chanteur r’n’b Frank Ocean a avoué avoir connu une passion pour un homme, tandis qu’Azealia Banks a évoqué sa bisexualité. Quand on le rencontre, A$AP Rocky insiste: » Pour ma génération, ce n’est plus une question de couleur ou de sexe. On ne veut plus discriminer. Avant, les rappeurs haïssaient les gay, les traitaient mal. Aujourd’hui, on s’en fout. »

BOUILLON MUSICAL. La tendance n’est pas neuve -cela fait longtemps que le rap ne se limite plus à piocher paresseusement ses samples dans les répertoires funk et soul. Mais les références pop ou indie-rock sont de plus en plus systématiques, de Kendrick Lamar (Beach House) en passant par Childish Gambino (Grizzly Bear)…

HÉRITAGE. Différente de ses aînés, la nouvelle vague rap ne rejette pas pour autant l’héritage hip hop. A bien des égards, elle va même y puiser une nouvelle crédibilité, loin des dérives pop-r’n’b, tout en lui réinjectant une nouvelle énergie, une nouvelle vérité. Lamar revendique l’influence de Tupac et se fait produire par Dr Dre, 30 ans dans le métier ( « Now we can all celebrate/We can all harvest the rap artists of N.W. A », sur Compton). Il y aurait même un revival nineties à disséquer dans le dernier clip de Danny Brown, Grown Up, ou dans les productions et l’attitude d’Homeboy Sandman ou de gamins comme Joey Bada$$, 17 ans, auteur d’une mixtape intitulée 1999, fan à la fois de Jay Z, Biggie et MF Doom. l

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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