Et si Konstantin Gropper était le musicien allemand le plus important depuis la vague krautrock des années 70? A la veille de ses 2 concerts belges, un voyage au cour de l’Allemagne s’impose pour débusquer le protagoniste de ce nouveau romantisme germanique.

Mannheim, sud-ouest de l’Allemagne, traîne sa spectaculaire banalité urbaine sous la neige sale de février. Mozart y tomba amoureux de la cantatrice Aloysia Weber. Et Speer, architecte et ministre du Troisième Reich, imagina la ville vue du ciel dessinant un H. Comme Hitler bien sûr. La localité, détruite à 90 % durant la (dernière) guerre, a autant de charme qu’un vieux building enrhumé. C’est là que réside pourtant Konstantin Gropper – alias Get Well Soon -, 27 ans, les sourcils rasés, grand guindé sous des faux airs gothiques.  » J’habite ici parce que ma petite amie y travaille, c’est la seule raison. J’ai vécu jusqu’en octobre à Berlin, où tout le monde est artiste (sourire) mais ici, c’est l’Allemagne provinciale, plutôt indolente et conservatrice. J’aime assez l’idée d’être au milieu de nulle part, une ville où il n’y a qu’un opéra et deux galeries d’art. C’est plus facile de se concentrer sur la musique. » Konstantin vient de réaliser un second album extrêmement accompli (cf. encadré), synthèse bionique d’un authentique minerai pop et d’une allégeance fluide à l’héritage le plus classique de la musique allemande. Quelque part entre Bach et Divine Comedy, avec des poussées de testostérones à la Radiohead. Contrairement à 90 % des disques rock où les arrangements de cordes et cuivres ressemblent à une greffe fantasmée sur un alien, ce disque-ci réussit quelque chose de bien plus intime et viscéral. Il suffit de remonter le fil de la biographie de Gropper pour saisir la façon dont il engrosse ses dernières chansons, entre un aria de La Callas samplé dans le si beau Red Nose Day et cette façon presque hystérique de ralentir un titre au plus extrême de sa motricité émotionnelle ( That Love). Konstantin a donc grandi dans une famille d’origine paysanne au bord du Lac de Constance, près de la très conservatrice et catholique Bavière, dans une maison  » où il n’y avait qu’une chose: la musique classique. Mon père était prof de musique et ne s’intéressait qu’à cela. D’où le violon pour ma s£ur et le violoncelle pour moi, dès l’âge de 5 ans. A 13 ans, j’ai eu ma première poussée de fièvre rock avec Nirvana et Smashing Pumpkins, je formais des groupes rock mais je continuais néanmoins à jouer dans l’orchestre classique de jeunes ».

Le violoncelle persiste jusqu’à l’âge de 20 ans, moment où Konstantin passe une année en service social, en remplacement de l’armée. Entretemps, il a vécu une autre expérience fondatrice: 18 mois d’études de philosophie à l’Université d’Heidelberg. à une vingtaine de kilomètres de Mannheim, voilà le Cambridge allemand, par l’ancienneté de son enseignement – l’Université existe depuis 1386 – et l’histoire qu’elle a traversée: Luther y fomente sa réforme protestante qui va bouter le feu à l’Europe.  » Heidelberg a été le centre européen du romantisme, de la littérature. J’avais choisi la philosophie parce que je pensais que je pouvais y trouver des réponses à mes questions, mais la première chose qu’on vous y enseigne, c’est qu’il n’y a pas de réponses à la mort, l’angoisse et l’amour. C’est aussi à Heidelberg qu’on a enregistré en 6 jours cordes, cuivres et batterie du nouvel album. » Dans la pénombre d’un café à l’éclairage mozartien, Konstantin s’est détendu. Il a perdu cette raideur première qui lui donne une allure ambiguë, au choix: Bambi égaré sous les phares rock ou serial killer mélomane. Konstantin est romantique au sens originel du terme, il exprime les tourments de l’âme et du c£ur:  » Mes craintes, mes peurs, mes angoisses, je les lave avec la musique. Même si le dire résonne comme un cliché, la musique est, pour moi, thérapeutique. C’est comme tenir un journal. Je sais que je suis le genre de mec qui pense un peu trop mais qui est, malgré tout, une personne saine, grâce à la musique. » Le nouveau disque est comme un rébus palpitant où les paroles sont inspirées d’une série d’écrivains/philosophes, puis refractionnées dans les lyrics. Traces de Sartre, Herman Melville, Rilke ou même Sénèque le jeune, ce stoïcien romain (mort en 65 après JC) qui mit en scène son suicide. Cette gravité qui pourrait pousser au machin morbide pour ados vulnérables donne chez Get Well Soon une musique qui  » questionne la notion d’auteur, rejoignant cette notion moderne que celui qui écrit n’est pas forcément important ».

Cinématographique

Pour rester en même zone de métaphores suspectes, Konstantin, agitateur de neurones, élève l’âme. Ou nous la réchauffe dans un baume rédempteur sans que l’on soit obligé de décrypter quoi que ce soit, simplement parce que, merde, les chansons sont meilleures que 80 % de la production actuelle. Pour ceux qui veulent aller plus loin que la sensation physique de la musique, c’est possible:  » Le titre Vexations et une part de ses challenges musicaux viennent d’une pièce écrite par Eric Satie. Le thème au piano est répété 860 fois et dure 12 heures: avant l’arrivée de John Cage, c’était la pièce la plus longue de l’histoire de la musique. J’aime son calme et le fait aussi qu’elle finisse par porter sur les nerfs… »

L’Allemagne actuelle n’est pas le meilleur territoire pour la musique de Get Well Soon,  » prise entre la pop et la « haute culture » dans le pays le plus bureaucratique d’Europe ». Konstantin est admirateur de la cruauté en littérature, c’est pour cela qu’il aime l’Autriche et Thomas Bernhard, les brusques accès de colère maladive de Vienne, cité à la conscience faussement polie. Il aime aussi la tristesse du cinéma français, reprenant sur l’édition limitée du nouveau disque une étonnante version de la chanson écrite pour Les Choses de la vie avec Romy Schneider. Il y met également 2 titres composés pour le dernier Wim Wenders qui ne l’a pas ébloui ( Palermo Shooting). Ses fascinations iraient plutôt du côté d’un autre allemand, Werner Herzog, auquel il dédie un titre du nouvel album, Werner Herzog Gets Shot: « J’ai vu ces images où, interviewé à Los Angeles, Herzog est victime d’un coup de pistolet à air comprimé et continue, comme si de rien n’était, la conversation (1) . Herzog dit qu’il est prêt à risquer sa vie pour son cinéma. Et je le crois, même s’il n’est pas facile de distinguer la vérité de la fiction, même si je suis aux antipodes de ce courage-là… » En scène, Konstantin retrouve des sensations cathartiques:  » Très fatigué avant, très vivant après, métaphoriquement parlant, cela me construit. » En le quittant dans la nuit congelée et déserte de Mannheim, on se demande encore qui est vraiment ce jeune mec. Mais peu importe: sa musique, c’est sûr, définit l’un des sentiments troubles de 2010.

(1) Tapez sur YouTube: Werner Herzog gets shot by LA sniper during interview.

Get Well Soon, en concert le 11 mars à l’ AB Club (complet) et le 12 mars à l’ Eden de Charleroi, www.charleroi-culture.be

Rencontre Philippe Cornet, à Mannheim.

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