LE ROI HAWLEY CHANTE LA MORT D’UN AMI ET SA FILLE QUI QUITTE LE NID SUR UN HUITIÈME ALBUM, HOLLOW MEADOWS, À LA CLASSE BOISÉE ET POÉTIQUE.

« Sheffield est assez dur: les emmerdes, j’ai appris à les voir venir. Je suis arrivé hier à Bruxelles. J’ai été chercher du fric à la banque. Des drôles de mecs nous tournaient autour. J’ai conseillé à mon pote de ne pas sortir son téléphone. C’est dingue ce que le quartier a changé en deux ans! Quel choc! Il est devenu franchement effrayant. Comme ce midi, plutôt que de manger, je suis allé acheter des disques, on était descendus du côté de l’AB pour repérer le terrain. Nous n’avons croisé que des gens désespérés. Résultat: on est rentrés dans notre chambre, on a fait le plein de bières et on a regardé Match of the Day. »

Centre-ville. Bord de piétonnier. 11 heures du mat’. Le temps est frisquet mais, comme on ne peut plus fumer dans les hôtels, l’interview se déroule en terrasse. Accueillant, souriant, Richard Hawley, tout en déplorant de ne pouvoir aller donner le coup d’envoi de Wednesday-Reading comme on l’y a invité, s’excuse de ne pas commander une pinte. « Too early to drink. Too early to think. » Il est tôt mais le poète de Sheffield, venu défendre son huitième album, a déjà avec lui tout son sens de la formule. Fidèle à ses habitudes, il a donné à son dernier disque, Hollow Meadows, un nom lié à ses terres. « Ma frangine et moi faisons des recherches généalogiques. Je ne sais pas pourquoi, mais ma plus jeune soeur est obsédée par tout ça. On s’est rendu compte que ce hameau s’appelait auparavant Auley Meadows. Auley, Hawley… Tu saisis? Notre nom de famille et nos ancêtres sont liés à cet endroit depuis le XIVe siècle. »

Le crooner anglais a eu le temps de potasser. Tracassé par des problèmes de santé, il s’est longuement retrouvé cloué au lit. C’est peu après la sortie de Standing at the Sky’s Edge (2012) que commencent les ennuis. Lorsqu’il se casse la jambe au début de sa tournée. « Le putain de premier jour. J’ai glissé dans un escalier en marbre à Barcelone. Je n’avais pourtant encore rien bu. » Il décide malgré tout d’assurer ses concerts en fauteuil roulant. « Je n’abandonne jamais de la sorte. C’eût été très facile de dire: « OK, tout le monde rentre à la maison. » Toute notre équipe, tout notre groupe avait bloqué du temps pour ces gigs et je n’étais pas à l’article de la mort. Je savais encore jouer de la gratte et chanter mes morceaux… »

Sauf qu’après, c’est son dos qui s’est mis à le faire souffrir. « J’ai dû passer beaucoup de temps allongé. Environ cinq mois et demi. Ça te fait réaliser ô combien fragiles nous sommes. Quand je te raconte ça, j’ai l’impression d’être un désastre ambulant… Il est très facile pour l’être humain de devenir sombre et de s’apitoyer. Tu es dans un genre de coma, un film défile dans ta tête. Et sans t’en rendre compte, tu peux te laisser tomber dans une espèce de trou noir. Heureusement, j’ai beaucoup de potes. A Sheffield, quand tu ne vas pas au pub, le pub vient à toi. Pendant toute cette période, je n’ai pas écouté de musique. J’ai écouté du rock’n’roll. Et le rock’n’roll, ce n’est pas de la musique. C’est de l’oxygène… J’ai lu pas mal de bouquins aussi mais c’est sans intérêt. Tu es surtout seul avec tes pensées. Et j’ai essayé de mettre tout ça à profit. »

Le joyau méconnu de l’Angleterre

Après avoir augmenté le volume sur son dernier album, Richard Hawley en revient avec Hollow Meadows, disque d’une classe et d’une émotion folles, à ses formidables chansons de crooner. L’ancien guitariste de Pulp en a enregistré les voix dans le hangar qu’il s’est fait fabriquer au fond de son jardin. Jarvis Cocker joue du clavier. Rebecca Taylor (Slow Club) et Nancy Kerr pointent le bout de leur nez. « Pourquoi aller à Londres? J’ai tant de gens formidables là, sur le pas de ma porte… Puis, Sheffield est la ville la plus verte de l’Union européenne. C’est une forêt urbaine. Le joyau méconnu de l’Angleterre. »

Des joyaux, il y en a quelques-uns sur son disque… Là où Serenade of Blue et Long Time Down brillent d’un romantisme désespéré, Nothing Like a Friend parle du décès de l’un de ses amis. « Je suis préoccupé par la mort depuis ma naissance. Enfin, je n’y pense pas tout le temps. Juste quand j’écris des chansons… Est-ce que ça me préoccupe, en fait? Tu m’inquiètes maintenant. J’imagine que c’est sain d’y penser de temps en temps. Quand tu es jeune, tu te dis que tu peux perdre un an ici ou là mais, quand tu vieillis, tu vois les aiguilles de l’horloge tourner… C’est une évolution naturelle. Certains vivent une existence insouciante. Rien ne les touche. Ce n’est définitivement pas mon cas. »

Sa fille, qui a récemment quitté le domicile familial, lui a ainsi inspiré la ballade boisée What Love Means. « Tu te prépares et tu sais évidemment qu’un jour les oiseaux quitteront le nid. Mais quand ça arrive, tu es envahi par un mélange de joie et de tristesse. Ça m’a fait mal. Ça reflète toute la force et la puissance de l’amour. D’autant que j’ai souvent été loin des miens à cause des tournées. Appartenir à la famille du rock’n’roll, c’est pour les jeunes. Je dis ça mais je ne le pense pas… Bref, ça m’a dévasté. Alors, j’ai écrit une chanson. »

Et ce, avec toute la poésie qu’on lui connaît. « J’aime les mots. Jouer avec eux. Je pense que c’est venu petit à petit. J’ai lu très tôt William Blake, Allen Ginsberg, Jack Kerouac. Mon grand-père, sidérurgiste, était un homme très lettré et m’a initié à tout ça. Mon père aussi s’y intéressait. C’était des gens intelligents et curieux. Ce à quoi ne mène plus vraiment l’éducation aujourd’hui. C’est devenu un business. Comme le football. La bibliothèque où j’allais quand j’étais gamin est un bâtiment religieux aujourd’hui. Et moi, mon église, c’est le pub… » Amen.

HOLLOW MEADOWS, DISTRIBUÉ PAR WARNER.

8

EN CONCERT LE 19/11 AU CIRQUE ROYAL.

RENCONTRE Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content