QUATRE ANS APRÈS PERSEPOLIS, MARJANE SATRAPI ET VINCENT PARONNAUD SIGNENT UNE ADAPTATION POÉTIQUE DE POULET AUX PRUNES, FABLE INSCRITE DANS UN INCONSCIENT SANS FRONTIÈRES, ET TOURNÉE EN IMAGES RÉELLES…

Bien connue des bédéphiles, Marjane Satrapi est née au cinéma en 2007, lorsque Cannes découvrit avec enchantement Persepolis, co-réalisé avec Vincent Paronnaud au départ de ses albums. Quatre ans plus tard, on retrouve la paire à Venise où Poulet aux prunes ( lire la critique page 31), leur second métrage, également adapté de l’une des bandes dessinées de l’auteure d’origine iranienne, a les honneurs de la compétition. Tourné en images réelles, le film, teinté d’un merveilleux empruntant notamment à l’imaginaire cinéphile, traduit une évolution sensible dans leur travail.

Dans quelle mesure Poulet aux prunes est-il inspiré d’une histoire vraie?

Marjane Satrapi: La part de vérité de cette histoire, c’est qu’un de mes grands-oncles, qui se trouvait être musicien, est mort de tristesse pour des raisons inconnues. Poulet aux prunes a découlé de cette histoire, et d’autres, que j’avais entendues, dont j’avais été témoin ou par lesquelles j’étais moi-même passée. Des ingrédients préexistent, mais ce qui fait une histoire, c’est la façon dont vous les mélangez, les développez et les assemblez. Nous n’avons pas voulu mettre la moindre limite à notre imagination.

Au moment d’adapter Poulet aux prunes, avez-vous jamais envisagé d’en faire un film d’animation?

Vincent Paronnaud: Non, nous avons tout de suite pensé travailler avec des acteurs. Nous sortions d’un film d’animation, et nous avions envie de faire autre chose. Nous n’avons pas de plan de carrière, et on n’a pas amorti le succès de Persepolis. Monter ce projet s’est d’ailleurs finalement révélé assez difficile parce que tout le monde attendait un dessin animé.

Pourquoi avoir appelé le personnage féminin Irâne?

MS: C’est un prénom qui existe en langue persane, et c’est bien sûr un choix qui ne doit rien au hasard. Irâne représente le rêve d’un Iran révolu, d’une démocratie qui aurait pu exister, de ces rêves d’un monde meilleur qui se sont envolés. Il y a un parallèle entre l’histoire de Nasser, qui ne peut aimer Irâne à cause de son père, et mon rapport à un pays que j’aime mais dont un dictateur me sépare. Tout comme Irâne se retrouve dans chacune des notes du musicien, tout ce que j’entreprends vient de là.

Comment avez-vous vécu la révolution verte en Iran, et maintenant le printemps arabe? L’Iran n’est-il pas passé là à côté d’une opportunité?

MS: Je ne pense pas, parce que le changement y est très profond. L’Iran est un pays où, pendant plus de 20 ans, on a dit aux femmes qu’elles valaient moitié moins que les hommes. Résultat: 65 % des étudiants sont des filles. Les filles travaillent et sont plus instruites que leurs pères ou leurs frères, c’est là que réside le changement essentiel. Le plus grand ennemi de la démocratie, c’est la culture patriarcale, bien plus qu’une personne ou un gouvernement. C’est quelque chose qu’il ne faut jamais perdre de vue. Le changement en Iran s’opère en profondeur, j’ai donc de grands espoirs, de même que j’en ai dans la révolution tunisienne, parce que je vois autant de femmes que d’hommes dans les rues, ce qui n’est pas le cas en Libye. Tant que les hommes et les femmes ne sont pas dehors ensemble, tant que cette mutation culturelle ne s’est pas opérée, que l’on ne change qu’un nom pour reconduire un même système, c’est dangereux. Ce réveil est fort bien, mais il faut du temps, la culture doit évoluer également.

Dans quelle mesure votre film est-il une déclaration politique?

MS: Ce n’est en tout cas pas l’intention. Mais si déclaration politique il y a, c’est l’amour de l’amour, de l’art pour l’art, c’est une célébration de la beauté. Dire qu’en 1958, un homme pouvait mourir d’amour pour une femme dans un pays comme l’Iran, contre lequel tant de gens nourrissent des préjugés, vaut mieux qu’une centaine de slogans. Si l’on considère l’histoire de l’Homme, l’une des périodes les plus riches fut la Renaissance, qui n’a pas découlé de grands idéaux révolutionnaires, mais bien de l’art et de la culture. Nous vivons dans un monde où la réalité est beaucoup trop présente, et où l’on bride les idées et l’imagination au nom de la realpolitik. Peut-être avons-nous besoin de plus de beauté, de poésie, d’art pour l’art, et que c’est là que réside ce que nous avons en commun.

VP: Comme nous le disons souvent, nous ne sommes pas des hippies, loin de là. Mais en même temps, dans la manière de faire le film, et c’est pour cela que l’on travaille ensemble, aussi, il y a des questions que l’on ne se pose même pas. Comme le fait de se dire qu’on va tourner un film qui se déroule en Iran, où les gens parleront français, et où va prendre des acteurs venus de tous horizons. Ce n’est pas un choix, cela vient de façon naturelle, et cette dimension internationale invisible est aussi importante que le sujet et le contenu. Avec Marjane, on partage une vision politique et même géopolitique, et c’est aussi ce que j’apprécie.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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