Thomas Vinterberg, le réalisateur danois de Festen, revient en force avec Submarino. Un film au réalisme dur, où l’espoir ne voit que fragilement le jour.

La quarantaine ne lui a pas fait perdre son allure juvénile, même si quelques rides apparaissent sur son visage de beau gosse. Thomas Vinterberg n’avait pas idéalement digéré, ni surtout géré, le succès de Festen. Le Prix du Jury à Cannes, puis de nombreuses autres récompenses dans le monde entier, avaient fait du jeune (28 ans à l’époque) réalisateur danois l’étoile montante de sa génération. Mais le compère en Dogme 95 de Lars von Trier allait se perdre ensuite dans 2 films américains oubliables ( It’s All About Love et Dear Wendy), avant de revenir panser ses blessures au pays et y réaliser une comédie au titre révélateur ( When A Man Comes Home) mais qui ne franchit pas vraiment les frontières du Danemark. Le saisissant, violent, terrible et beau à la fois Submarino ( lire la critique page 31) marque enfin le retour en forme créative d’un Vinterberg à nouveau âpre, incisif, utilement dérangeant. Au Festival de Berlin, où son film était projeté en compétition, ce dernier nous a révélé une motivation intacte, par-delà le nihilisme apparent de son film…

Comment vous est venue l’idée de porter à l’écran le livre de Jonas T. Bengtsson?

Quand je l’ai lu, j’ai tellement été choqué par sa dureté que je l’ai jeté à travers la pièce après une centaine de pages. Mais une force irrésistible m’a poussé à le reprendre, et à en achever la lecture… qui m’a laissé dévasté à un point que j’ignorais. Que le bouquin soit audacieux, important et terrible dans ce qu’il raconte de la pauvreté, de l’enfance ravagée, était clair à mes yeux. Mais c’est la perception d’une tendresse sous-jacente qui m’a convaincu de la possibilité pour moi d’en faire un film.

Avec un sujet socialement et humainement aussi sombre, douloureux, comment avez-vous trouvé la juste distance, pour ne pas être lourd, ou mélodramatique?

Dès le départ j’ai voulu que le film soit épuré, et non sentimental. Il me fallait aussi éviter absolument tout maniérisme, et renoncer à toute la panoplie des outils sentimentaux. Je savais que cette histoire serait d’autant plus forte qu’elle serait directe, vierge d’effets. Jusqu’aux derniers moments du montage, j’ai voulu conserver un trait sec, résister à toute tentation de sortir les violons… En acceptant bien sûr que certains spectateurs se lèvent et quittent la salle en disant:  » C’est assez pour moi, je ne veux pas avoir à supporter plus… »

Considérez-vous Submarino comme un film très pessimiste, voire nihiliste?

C’est sans aucun doute un film très noir. Je vous concède qu’il n’est pas immense, mais il y a toujours de l’espoir. En référence au titre, il existe toujours un moyen de remonter à la surface. Un des 2 frères y parvient, d’une certaine façon, au terme d’un éprouvant combat. Submarino s’interroge: les gens peuvent-ils changer, peuvent-ils échapper au destin qui paraît peser sur leur vie depuis le début? Je ne peux que répondre oui, même si c’est terriblement difficile.

Croyez-vous au destin, vous-même?

Je crois qu’il est très difficile de changer, sur l’espace d’une vie… Et cela où qu’on se trouve. Mon film ne pose pas de jugement sur la famille, ou sur la société scandinave. La famille est un thème qui m’est très sensible. Quand j’ai commencé à travailler sur le film, j’étais divorcé de fraîche date, j’avais pour la première fois, seul, la responsabilité de mes enfants. Et j’étais saisi par la peur de ne pas être à la hauteur. J’ai voulu que cette peur s’inscrive dans le film, dans une certaine scène en particulier, celle où un père oublie son enfant, une scène qui m’avait détruit quand je l’avais lue dans le livre… Cette question du sentiment de culpabilité des parents est universelle. Et la tendance actuelle, un peu partout, est de distendre les liens familiaux. Nous nous éloignons les uns des autres, et si l’on n’agrippe pas l’autre pour le ramener vers soi, il se retrouve trop loin. Les 2 frères du film s’attrapent, même maladroitement, même en vain souvent, pour se rapprocher l’un de l’autre. Et je trouve ça extraordinairement beau, extrêmement touchant… N’avons-nous pas tous peur d’être rejeté?

Avez-vous ressenti vous-même un certain sentiment de rejet, quand la critique s’est faite dure envers vous après vous avoir encensé pour Festen.

On se console un peu de ce type de rejet en se disant que les louanges étaient déjà « too much », au départ. Si l’unanimité des réactions positives devait être ramenée à de plus justes proportions, il pouvait en être de même des réactions négatives rencontrées quelquefois par la suite…

L’acteur principal de Submarino, Jakob Cedergren, est remarquable. Comment avez-vous travaillé avec lui?

La clé, avec Jakob, c’était le poids. Le poids physique, car il est bien plus maigre dans la réalité, et qu’il a dû grossir pour jouer le rôle. Et le poids mental, la gravité. Et ce fut plus difficile, car les acteurs ont tendance à s’alléger plutôt qu’à se charger. Le temps que Jakob a passé dans un foyer pour ex-criminels, sortis de prison et en voie de retrouver la vie réelle, a été décisif. Il en est revenu avec cette calme pesanteur qu’a Nick dans le film. Il faut beaucoup d’humilité pour approcher des personnages à ce point desservis par l’existence, quand on vit le confort d’une vie de bourgeois bohème comme nous autres, gens de cinéma. Mais j’avais cette idée, un peu ridiculement romantique, de me préparer en allant vivre « là », ne fût-ce qu’un peu de temps. J’ai voulu habiter une semaine dans un refuge pour sdf. Le responsable m’a dit:  » OK, mais lequel des sans-abris dois-je mettre dehors pour que vous preniez son lit? » Alors j’ai simplement passé mes journées là-bas, à observer et ressentir les choses…

Rencontre Louis Danvers

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