Si les villes ressemblent aujourd’hui à des parcs d’attraction, c’est en grandE partie à cause de Coney Island, qui a fait du pastiche et du toc le ciment d’un nouvel idéal de vie.

Coney Island n’est pas seulement une image d’Epinal du cinéma américain. C’est aussi le laboratoire de la ville moderne. En épluchant leur généalogie, on découvre que New York, Las Vegas, Dubaï ou Shanghai ont un aïeul commun: Dreamland. En 1904, l’île aux lapins est déjà très populaire grâce à son Luna Park, inauguré l’année précédente. Ayant flairé le bon coup, l’homme d’affaires William H. Reynolds décide alors de faire construire au même endroit un nouveau parc d’attractions. Ce sera Dreamland. Pas de montagnes russes ici mais bien des reconstitutions grandeur nature de paysages de carte postale. Installés dans des gondoles, les visiteurs sillonnent des canaux bordés de toiles où sont… dessinées des vues en trompe-l’£il de Venise. Un peu plus loin, on s’élève de quelques mètres pour contempler les cimes des montagnes suisses avant de s’aventurer dans les ruines de Pompéi. Le succès est immédiat. Tout New York se presse dans ces décors factices, qui sont au voyage ce que la saccharine est au vrai sucre. L’air de rien, on assiste là à une petite révolution copernicienne dont on avait déjà pu avoir un avant-goût quelques années plus tôt à l’Exposition universelle de Paris, qui troqua la pédagogie scientifique pour le spectaculaire (la Tour Eiffel) et l’exotisme (les pavillons nationaux). Plus de doute, les dés du pastiche, du leurre et du divertissement à grande échelle sont jetés à l’aube de ce XXe siècle. La ville ne sera plus jamais une « banale » équation démographique à résoudre, elle deviendra avant tout le théâtre des fantasmes de ceux qui la pensent, la façonnent et la vivent. Dreamland aura beau brûler complètement en 1911, rien n’y changera. Par effet de capillarité, les ingrédients qui font le s(t)uc des parcs d’attractions, de plus en plus nombreux et en voie d’industrialisation sous l’égide de Walt Disney, vont déteindre sur les murs des métropoles. A commencer par la plus proche de l’épicentre du séisme, New York, dont les gratte-ciel exaltent certes le progrès technique mais plus encore une mythologie flamboyante.

Comme à la parade

La ville-décor est en marche. Avec la complicité de nombreux artistes et architectes, Dali, Brancusi, Léger ou Breton, fascinés par ces miroirs aux alouettes célébrant la culture populaire. Que ce soit à l’échelle d’un monument, du sigle Hollywood accroché à sa colline au Centre Pompidou à Paris (siège récemment d’une exposition passionnante sur le sujet), ou à la dimension d’une ville entière, le façadisme impose ses codes esthétiques, pour le meilleur et pour le pire. Après Las Vegas et son tour du monde en copier-coller, ce sont Dubaï et la Chine qui rivalisent aujourd’hui dans l’accumulation jusqu’à la nausée de signes iconiques sortis de leur contexte (piste de ski pour le premier, reconstitution de châteaux français pour la seconde), brouillant un peu plus la frontière entre réel et virtuel. Encore une chance que le kitsch ne tue pas…

Laurent Raphaël

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