COMIQUE GRINCHEUX LE PLUS COOL DE LA PLANÈTE DOUBLÉ D’UNE ICÔNE POP D’UN GENRE NOUVEAU, BILL MURRAY MULTIPLIE LES ÉTIQUETTES AUTANT QU’IL Y ÉCHAPPE, ET RAJOUTE UNE CORDE À SON ARC FARCEUR EN CROONER DÉPRESSIF DANS LA COMÉDIE NETFLIX DE SOFIA COPPOLA, A VERY MURRAY CHRISTMAS.

« Bon-jour (en français dans le texte). J’ai étudié à la Sorbonne. C’est pour ça que je parle comme un écolier. » Droopy lunaire aussi rare en interview que résolument hors système, Bill Murray accordait à un aéropage réduit de journalistes internationaux le privilège d’une rencontre forcément singulière début du mois à Marrakech, où le Festival du Film rendait hommage à son parcours. Et il y a matière, en effet, le natif d’Evanston, Illinois, ayant désormais quelque 40 années de cinéma populaire riche en highlights derrière lui, de Meatballs à Moonrise Kingdom, en passant par Tootsie, Ghostbusters, What about Bob?, Lost in Translation et autre Broken Flowers.

Pas de quoi, ceci dit, faire tourner la tête de ce clown philosophe doublé d’une parfaite anti-star, carburant à la normalité comme d’autres au café du matin, loin des caprices dégénérés des grands de ce monde. « Je hais les acteurs (sourire).Non sérieusement et à vrai dire je comprends même très bien pourquoi la plupart vivent en stars, à l’écart de la plèbe. Vous savez, ça prend beaucoup d’énergie de sortir de chez soi. Parce que vous attirez sans arrêt l’attention. Bon, c’est vrai, parfois on accepte de vous servir à manger au restaurant quand il est très tard et c’est sympa, mais le seul véritable avantage de la célébrité, au fond, c’est qu’on s’occupe de vous à n’importe quelle heure quand vous débarquez avec un enfant malade aux urgences (sourire).Il s’agit là du privilège numéro un, croyez-moi. Les autres bénéfices, honnêtement, je m’en passerais bien. »

La notoriété, cette prison dorée? « Il n’est nullement question ici de se plaindre du fait d’être connu, je déteste ceux qui font ça, mais ça peut réellement être épuisant de se retrouver constamment au coeur de l’attention. Pour autant, je refuse d’être paralysé par la célébrité et ses conséquences. Il serait pourtant parfois tentant de ne pas aller quelque part, ou de ne pas faire quelque chose, afin d’éviter d’être reconnu. Prenez la soirée d’ouverture du festival, ici, à Marrakech. Vous m’y avez vu danser, tout simplement parce que je m’y plaisais et que j’en avais envie. Mais très vite la chose tourne au shooting photo. Chaque crétin muni d’un smartphone se croit malin de le brandir et de filmer. Je ne comprends pas: c’est la fête, est-ce qu’on ne peut pas simplement danser tous ensemble? »

Un état d’esprit

C’est qu’à rebours total des conventions, déjouant en anguille du showbiz toutes les attentes en lien avec sa condition, Murray a fini par décrocher sans même le vouloir le statut peu banal de véritable icône de la pop culture. Une entité en soi, symbole d’un certain art de vivre, d’un état d’esprit, qui n’en finit pas d’inspirer. Une expo british lui est d’ailleurs consacrée ces jours-ci à Gateshead, près de Newcastle, via des portraits géants collés sur des faux buildings et censés représenter l’éventail de ses humeurs les plus authentiques. « Je ne suis pas au courant. Mais tant qu’ils ne me font pas passer pour l’obèse de service via ces agrandissements, je n’ai pas d’objection majeure à ce que l’on s’empare de mon image. Surtout s’il s’avère que c’est créatif.  »

L’an dernier, le festival de Toronto a quant à lui décidé d’instituer un « Bill Murray Day », auquel l’acteur s’était d’ailleurs pointé pour y serrer la main de tous ceux qui faisaient la file devant les salles pour revoir Stripes, Ghostbusters ou Groundhog Day. « Il pleuvait. Et ça me semblait être la chose la plus appropriée à faire: serrer des mains sous des trombes d’eau. » Électron libre allergique au formatage, l’acteur est en effet le roi du happening improbable, multipliant les apparitions publiques impromptues du genre, qu’il s’incruste sans crier gare dans une fête estudiantine où il finit par faire la vaisselle ou rentre dans un resto pour y piquer les chips d’un client avant de s’éclipser illico en lui lâchant d’un ton farceur: « De toute façon, personne ne vous croira. » Des anecdotes aux allures de légendes urbaines au confluent du mème et de la fanfiction dont regorge Internet, toutes compilées sur un site rigolard (www.billmurraystory.com) où il est parfois bien difficile de distinguer le vrai du faux. Et après tout qu’importe, les histoires inventées de toutes pièces en disant au final aussi long que les véritables loufoqueries du sieur Murray sur ce que représente aujourd’hui son cas dans l’imaginaire collectif, star hollywoodienne capable sur un tournage d’engager un assistant personnel sourd-muet, sans rien maîtriser bien sûr du langage des signes, juste pour envoyer paître certains pontes des studios.

Aujourd’hui, l’acteur semble d’ailleurs travailler sans agent ni attaché de presse… « Comment un réalisateur ou un producteur fait pour me contacter? Je vais vous dire: ce n’est pas mon problème. Ce sont eux qui cherchent à me joindre, pas le contraire. » A une époque, l’animal se serait même fait faxer ses scripts de films à la supérette où il avait ses habitudes, mais la rumeur veut qu’il convient désormais d’appeler un répondeur sur une ligne spéciale qu’il aurait mise en place et… que de son propre aveu il n’écoute pas toujours. Ce qui expliquerait peut-être aussi sa tendance actuelle à galvauder son talent dans des productions mineures -le moyen St. Vincent (lire encadré), le mauvais Rock the Kasbah… « Disons que je ne suis pas quelqu’un de très organisé. Vous pensiez vraiment que je l’étais? Non, sérieusement, je suis relativement paresseux et n’ai en tout cas jamais suivi aucun plan de carrière. Je fais ce que j’ai envie de faire, quand j’en ai envie, et c’est tout. Je choisis mes films comme mes vêtements, à peu de chose près. C’est-à-dire que je ne me réveille jamais le matin persuadé que je dois m’habiller comme ci ou comme ça. J’enfile ce qui est propre et en haut de la pile. »

Noël avant l’heure

C’est le bonnet du père Noël, pas moins, qu’il arbore pour le coup en cette fin d’année chez Sofia Coppola, en chanteur saint-bernard désabusé et rêveur. « A Very Murray Christmas s’inscrit dans la grande tradition américaine des programmes de Noël. Ça n’a strictement rien à voir, en termes de codes, avec un long métrage de cinéma. Le show résulte d’une combinaison de petites idées. Sofia m’a dit un jour qu’elle m’imaginait bien chanter du Chet Baker dans un club. Puis le scénariste Mitch Glazer a embrayé en parlant d’un programme de Noël. Ce qui m’a fait penser à un personnage de crooner coincé dans un hôtel par grand froid. »

Soit un énième alter ego de Murray lui-même, tout en séduction désinvolte, gagné par un blues clin d’oeil à Lost in Translation dans cette attachante comédie Netflix où se bousculent les invités de choix (George Clooney, Miley Cyrus, Michael Cera, Amy Poehler, Chris Rock, Maya Rudolph, le groupe Phoenix…). A tel point que l’on a parfois le sentiment d’assister à une partie un peu futile et complaisante de who’s who? entre gens de bonne compagnie. Sincère, pas prise de tête, voire possiblement désarmant, le show décolle pourtant plus qu’à son tour dans de fringants numéros de chants au parfum old school où Murray, impérial, semble prendre un plaisir immense et tout bête à donner de la voix. « C’est quelque chose qui m’est venu très récemment. Et croyez-moi, ce n’est pas fini. Vous m’entendrez par exemple encore chanter dans le nouveau Livre de la Jungle réalisé par Jon Favreau pour Disney. Je fais la voix de Baloo, et on a enregistré certaines choses avec des musiciens de La Nouvelle-Orléans. C’est là que j’ai pris conscience du pied total que je pouvais prendre à chanter. Je ne peux plus m’en passer. Les chansons de Noël ont en outre cette capacité rare à vous emmener très loin, dans une émotion, un esprit, qui vont sont inconnus le reste de l’année.  »

Acteur fidèle fonctionnant au feeling, Murray a l’habitude de multiplier les collaborations avec les mêmes cinéastes, d’Ivan Reitman aux frères Farrelly, en passant par Harold Ramis, Jim Jarmusch ou Wes Anderson. « Avec Sofia, nous avons eu cette entente vraiment très spéciale quand nous avons tourné Lost in Translation au Japon. J’ai souvent pensé depuis que nous devrions refaire un long métrage ensemble. Et il se trouve qu’elle m’a récemment confié qu’elle est occupée en ce moment à écrire pour le cinéma quelque chose qui, si je suis sage jusque-là, pourrait bien être pour moi. Quant à Wes, il prépare un nouveau film en stop-motion, dans l’esprit de Fantastic Mr. Fox. Une histoire japonaise où je prêterai ma voix à un chien. C’est très excitant (sourire).  »

« Mon souhait pour Noël?, reprend-il soudainement plus grave. Les récents événements tragiques de Paris et San Bernardino sont tellement terribles que je souhaite qu’une espèce de grâce nouvelle se répande sur le monde et adoucisse le coeur des gens. C’est assez irréaliste, hein. Mais bon. J’ai aussi la naïveté de penser que les films peuvent nous apprendre des choses, même quand ils ne sont que purs divertissements. Prenez le Bibendum Chamallow, par exemple, venu détruire la ville de New York dans Ghostbusters. Il fonctionne comme une métaphore de nos peurs: si vous êtes capable d’y faire face, elles s’avèrent bien souvent n’être que de vulgaires guimauves. » Et de conclure, lucide et humble à la fois: « Mais vous savez, après tout, je ne suis qu’un pauvre schnock du show business. » Unique, le schnock.

A VERY MURRAY CHRISTMAS. DE SOFIA COPPOLA. AVEC BILL MURRAY, GEORGE CLOONEY, MILEY CYRUS. 0 H 56. EN DIFFUSION SUR NETFLIX.

7

RENCONTRE Nicolas Clément, À Marrakech

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content