Catherine Deneuve joue avec son image et nos souvenirs dans une comédie de François Ozon où elle brille d’un éclat particulièrement savoureux. En training et bigoudis. Rencontre exclusive.

Catherine Deneuve débarquant au Festival de Gand, et l’air se charge, insensiblement, d’un émoi perceptible. Et pour cause, serait-on tenté d’écrire: avec elle, c’est tout un pan -et lequel!- de l’histoire du cinéma qui s’invite, celui qui conduit de Jacques Demy à Luis Bunuel, en passant par Roman Polanski, François Truffaut, André Téchiné et tant d’autres, les Marco Ferreri, Jean-Paul Rappeneau, Alain Corneau et consorts dont les films l’ont érigée mieux qu’en star, en véritable icône. Là où d’autres se contenteraient de capitaliser sur leur passé prestigieux, Deneuve, elle, est de celles à mettre régulièrement leur statut en péril: on l’avait vue minée par l’alcool pour Nicole Garcia, ou ensuite pétrie par la caméra de Lars Von Trier, voire encore en mère peu aimante dans le mémorable Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin; voilà qu’elle retrouve aujourd’hui François Ozon, son réalisateur de 8 Femmes pour qui elle embrasse un rôle de… Potiche (mais pas cruche, comme le réalisera son partenaire, Fabrice Luchini, à ses dépens).

Qu’il y ait là un contre-emploi taquin, on en a la démonstration à l’écran, où Mademoiselle Deneuve -Suzanne Pujol pour le coup- ne tarde pas, toutefois, à sortir de sa fonction d’objet décoratif pour relayer son mari à la tête de l’entreprise familiale de parapluies, sur laquelle elle fait souffler un vent de fraîcheur. La femme est l’avenir de l’homme: ce précepte, vérifié de Aragon en Jean Ferrat, que le film cite par ailleurs joliment, avait déjà cours à la fin des années 70, période de l’action. L’actrice, pour sa part, apporte une contribution en coin à la cause.

C’est du reste sur le terrain de la place des femmes dans la société que s’engage la conversation, alors qu’on la retrouve, aussi affable que naturellement élégante, dans un salon d’un hôtel gantois. « François Ozon connaissait la pièce de Barillet et Grédy. Mais c’est au moment des élections présidentielles, et des débats entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, que l’adapter à l’écran lui est apparu comme une évidence. Si la situation des femmes s’est améliorée depuis les années 70, et qu’il y a notamment plus de femmes qui occupent des postes à responsabilités, il y a toujours du retard et des excès. A travail égal, les femmes ne sont pas payées comme les hommes. Et, de toute façon, elles doivent travailler 2 fois plus puisque, une fois rentrées chez elles, et même si elles ont des maris très compréhensifs, elles doivent encore faire beaucoup de choses à la maison. J’ai été sensible à ce propos, d’autant plus que je savais que François Ozon allait le traiter d’une façon subtile, et qu’il s’agirait d’une comédie… « 

Les parapluies et Jacques Demy

Une scène suffit à mettre le film sur une orbite décoiffante qui ne se démentira guère par la suite. Ayant passé un survêtement rouge, Catherine Deneuve s’y fend d’un jogging dans un sous-bois, composant au passage une ode à la nature d’une ringardise assumée – « C’est sûr, c’est vraiment un rôle de composition pour moi », s’amuse-t-elle. Et si elle opine lorsqu’on lui demande s’il s’agissait de jouer avec la place qu’elle occupe dans l’imaginaire des spectateurs, c’est pour aussitôt ajouter: « Mais j’avais surtout envie de me faire plaisir en tournant une comédie. »

Un plaisir venant rarement seul, Potiche aura aussi eu le don de projeter la comédienne à l’époque où elle illuminait les films de Jacques Demy -d’une usine de parapluies, qu’elle aura d’ailleurs le mérite d’inonder de couleurs, lançant une ligne Kandinsky que l’on aurait aimé voir commercialisée, à ceux de Cherbourg, il n’y a qu’un pas, en effet, franchi à la vitesse de la mémoire cinéphile. « Bien sûr, j’y ai pensé, mais François ne s’en est pas du tout servi d’une façon un peu mélancolique ou nostalgique. C’était dans la pièce, et il ne l’a repris que parce que c’est amusant. »

A la tentation éventuelle de la langueur, la comédienne préfère, en effet, « le plaisir de la mémoire », comme elle le formulait dans Les Demoiselles ont eu 25 ans, où elle retournait, avec Agnès Varda et d’autres, dans le décor des Demoiselles de Rochefort, le second, après Les Parapluies de Cherbourg, des 4 films qu’elle allait tourner avec Jacques Demy, une collaboration parmi les plus merveilleuses qu’ait connues le cinéma français. « Jacques Demy a vraiment été très important pour moi, dit-elle, reconnaissante, à propos du réalisateur qui la révéla. Le cinéma avec lui, c’est là où j’ai découvert ce que ça pouvait être d’être acteur, ou actrice. Son regard sur moi, sa façon de diriger, de mettre en scène, le romanesque de tout, ont fait que d’un seul coup, quelque chose s’est ouvert. Je n’avais pas imaginé que cela pouvait être ça, tourner. Il se trouve, aussi, que c’était une comédie musicale, une chance formidable: un musical, c’est une autre ambiance. J’étais assez timide, à l’époque, et cela m’a aidée à exprimer des choses plus excessives que j’aurais pu le faire dans un film où il fallait simplement jouer ces situations-là.  »

Un autre souvenir que convoque Potiche, c’est bien sûr celui du couple de cinéma qu’elle forme, à intervalles réguliers, avec Gérard Depardieu -7 films ensemble depuis Le Dernier Métro, en 1980. Là encore, l’histoire du Septième art défile, alors qu’on les retrouve, dansant de concert, au son de Viens faire un tour sous la pluie, de Il était une fois. « On ne se voit pas beaucoup en dehors des tournages, mais comme on se connaît depuis fort longtemps, il y a forcément une intimité qui fait qu’il n’y a pas de préambule, il n’y a pas à briser quoi que ce soit pour se retrouver. Et puis, Gérard Depardieu, c’est quelqu’un qui aime beaucoup les actrices, un partenaire généreux qui apprécie la présence des femmes dans la vie aussi. Ça se sent, et c’est quelque chose d’assez particulier. »

Le prix de la longévité

A l’écouter parler ainsi d’un parcours objectivement scintillant, on n’imagine pas qu’elle puisse nourrir l’un ou l’autre regret. Ce qu’elle s’empresse de démentir: « J’ai eu un projet assez précis avec Hitchcock (The Short Night, ndlr) . Mais entre le moment où il m’a donné le synopsis et celui, éventuellement, d’un scénario, il est mort, malheureusement. Je l’ai connu assez tard, et ça, c’est un vrai regret: j’aime beaucoup ses films, et j’aurais voulu tourner avec lui. J’aurais adoré jouer Marnie, un rôle extraordinaire, ou dans Vertigo. On dit qu’il ne traitait pas bien ses actrices, mais il y en a d’autres qui les traitent mieux pour un résultat décevant. Parfois, il faut savoir souffrir un peu au cinéma, même si je n’aime pas trop ça. » De même, la voie ne fut-elle pas toujours aussi royale qu’elle le paraît de l’extérieur. « Ce serait trop beau. Après Le Choix des armes , que j’avais fait pour Alain Corneau au début des années 80, j’ai connu une année un peu difficile, où je trouvais que les scénarios et les rôles que l’on me proposait étaient sans intérêt. Mais cela s’est avéré n’être qu’un passage, comme ça. Je ne peux pas dire que j’ai eu des périodes très sombres, j’ai eu beaucoup de chance -pour quelqu’un qui fait du cinéma depuis si longtemps, je n’ai pas vraiment eu de grand trou noir. « 

Le secret de sa longévité, on serait enclin, outre le talent et la beauté, à aller le chercher du côté d’une audace qui ne s’est jamais démentie dans ses choix, qu’il s’agisse de tourner dans Répulsion « c’est ma curiosité personnelle, j’ai toujours été intéressée par les choses un peu différentes, un peu originales »-, ou, plus de 30 ans plus tard, dans Dancer in the Dark de Lars Von Trier. « Cela doit être l’une des raisons, approuve-t-elle. L’autre, c’est que je n’ai jamais été « idolâtrée », je ne suis jamais devenue un personnage que l’on voyait tout le temps sur les couvertures de magazines, j’ai toujours veillé à rester extrêmement privée sur ma vie personnelle. J’ai eu de grands pans de vie où j’étais absente du monde de la télévision ou de la presse, parce que quand je ne travaillais pas, j’avais envie d’avoir une vie personnelle vraiment privée, et je n’ai jamais transigé là-dessus.  »

Entretien Jean-François Pluijgers

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