Point à la ligne

© L. BRANDAJS

À la Fondation CAB, l’infatigable Bernar Venet signe un geste majeur en forme de contrechamp indoor à l’arc qui sublime l’E411. Indispensable.

Ce qu’il y a de fascinant avec l’art minimal, c’est sa capacité à occuper l’espace: un « peu » qui tend vers le plein, un rien qui prend toute la place. De ce paradoxe plastique, Bernar Venet (1941, Château-Arnoux-Saint-Auban) livre une nouvelle variation exemplaire à la Fondation CAB. L’homme prouve de la sorte qu’à l’aube de ses 80 ans, la créativité, à laquelle il est particulièrement attaché, est loin de l’avoir déserté. Goguenard et fringant comme un jeune homme, il prévient dès l’entrée:  » Je suis le contraire d’un Poliakoff, il m’aurait été impossible de trouver une seule et même solution formelle et la décliner tout au long de ma vie« . À la place, l’oeuvre de Venet est traversée de doutes, de rebonds, de remises en question, notamment de 1971 à 1976 lorsqu’il a mis sa pratique entre parenthèses pour enseigner. Pour illustrer cette aptitude au changement, le plasticien débarque à Bruxelles avec une intervention déroutante pour ceux qui, par malheur, ne connaîtraient de son travail que le récent et courbe Arc majeur inauguré sur l’autoroute E411. De son aveu, c’est en découvrant le bel espace immaculé de la fondation, un entrepôt des années 30 de style Art déco, que le Français a d’emblée imaginé la pièce qui l’exhausserait. Celle-ci consiste en une barre diagonale en acier Corten de 17 mètres qui balafre le vide. Posée sur un socle parallélépipédique, cette Hypothèse de la diagonale est fascinante à proprement parler. Face à la tension qu’elle exprime, l’esprit convoque mots et symboles, il tord le langage pour se raconter une histoire.  » Erreur« , confie indirectement l’artiste par le biais d’une inscription murale, des lettres noires sur fond blanc, qui livre le fin mot de l’affaire:  » Une ligne positionnée diagonalement par rapport à l’espace de ce lieu appuyée sur un socle de 150 x 140 x 220 cm. Disposition 18° par rapport à l’axe central de la galerie et 7° par rapport au niveau du sol. Acier Corten assemblé par soudure – 1 400 kg – 17 mètres de longueur – 30 cm de section carrée« . N’y voyez rien de plus.

Genèse

Habité par les notions de radicalité et de neutralité, celles-là mêmes qui constituent à ses yeux l’essence de la pratique artistique, Venet a le goût de l’oeuvre autoréférentielle, celle qui ne renvoie qu’à elle-même. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’inscrire cette Hypothèse au sein d’un continuum initié par Alexandre Rodtchenko. Aux alentours de 1920, le Russe trace une ligne partant quasiment de l’angle inférieur gauche et rejoignant presque l’angle supérieur droit de la feuille de papier quadrillée. « Quasiment » et « presque », les deux termes sont essentiels pour comprendre la conversation esthétique menée au-delà des décennies par Venet. Mais il faut pointer un autre débordement transcendant la pure forme de l’oeuvre. Celui-ci est suggéré par le second volet de l’exposition qui ouvre le regard sur la genèse de la diagonale au sein du travail de l’intéressé. Elle remonte à 1966 lorsque le jeune homme qu’il est alors a la révélation des mathématiques.  » Je me suis dit que si je pouvais amener les maths dans le domaine de l’art, un champ inouï et singulier s’offrirait à moi« , rappelle-t-il. Un dessin marqué d’une formule convoque ce moment fondateur qu’il n’aura de cesse de déplier en le faisant exister à travers des régimes variés: toile plastifiée (afin de se distinguer de la peinture), sculpture apposée au mur, voire performance (ce dont un mur du CAB témoigne depuis le 12 février dernier).

L’Hypothèse de la ligne droite

Bernar Venet, Fondation CAB, 32-34 rue Borrens, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 14/03.

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