Pleine terre

Chronique d’une mort annoncée: celle d’un agriculteur à l’orée d’un été déjà meurtrier. Jérôme Bonhomme n’est pas en règle aux yeux de l’administration dans la gestion de son cheptel: la terre des hommes est devenue terre des normes qui tordent le cou des petits paysans -quand ils ne se le rompent pas eux-mêmes de désespoir. La société capitaliste préfère les fermes de mille vaches désanimalisées et épurées, aux petits troupeaux de petites exploitations qui fleurent encore bon le purin. L’agriculture industrielle fane en effet le naturel, le vivant, lui préférant le déjà mort ou le jamais vraiment né sur pattes… Voisin, famille, amis et le condamné lui-même racontent bien plus que neuf jours de cavale; ils décrivent le meurtre d’un très noble et ancien métier, pardon, un sacerdoce. Avec toute la fougue et la révolte rentrée d’une écriture qui flirte avec le naturalisme secoué par le vent de la colère froide, Corinne Royer transpose un fait divers réel et récent exemplatif du « drame paysan »: celui où les amoureux de la terre disparaissent, où la paysannerie se démembre à coup de remembrements, où le contrôle sanitaire et des précautions environnementales passent par une standardisation des espèces, l’élevage intensif, la multiplication des épidémies par manque d’aération… Le récit de ce tragique destin, solitaire mais pas esseulé, évoque à la fois La Chèvre de Monsieur Seguin et Ceci est ma ferme, témoignage de Chris de Stoop sur le suicide de son frère agriculteur. Un bel hommage à l’un de ces… damnés de la terre.

De Corinne Royer, Editions Actes Sud, 336 pages.

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