Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Ami d’Hergé et brillant décortiqueur d’images, Pierre Sterckx est aussi le Commissaire de l’expo Sexties qui dénude la BD au Bozar.

 » Un commissaire est un concepteur et dans ce cas-là, le concept ne vient pas de moi, mais d’Eric Verhoest qui a eu cette idée des Sextie s, un superbe « mot valise ». En le découvrant, le lecteur trébuche et fait attention! Avant les années 60, il n’y avait pas de sexe dans la BD et puis on s’est aperçu, même si Freud l’avait dit dès 1905, que les enfants étaient sexués. Le dessin recompose le réel avec un retard érotique, contrairement à la photo ou à la vidéo, qui sont prisonnières de l’instant et peuvent donc être obscènes. » Contemporain des dessinateurs exposés – Peellaert, Cuvelier, Forest et Crepax -, le vaillant septuagénaire a fouillé chez les héritiers pour débusquer nus, planches rares, carnets de note et autres esquisses à délice.  » Les ados vont aimer ces dessins très suggestifs, très érogènes: on voit l’£uvre dans sa beauté originale, l’encrage, le papier. C’est une nouvelle jouissance, que l’album de BD ne donne pas. »

Allô police?

De 7 à 77 ans

Pierre Sterckx, né en 1936, tombe dans Le Lotus bleu à l’âge de 6 ans: il ne se remettra jamais du vertige tintinesque, analysant l’£uvre d’Hergé dans une dizaine d’ouvrages corrosifs et archi-documentés, à la manière de ceux qui aiment vraiment, quitte à châtier l’objet du plaisir. Dans Tintin schizo, Sterckx analyse le garçon à la houppe claire comme  » créature événementielle, au sens des médias de masse, de double nature ambiguë« . Et pour la bonne cause:  » S’il n’y avait pas cette ambiguïté, ce paradoxe, Tintin ne serait pas une £uvre d’art. Je fais des énoncés qui sont toujours collectifs -je me garde d’infliger mes opinions- qui ont un seul but: intensifier la jouissance face à une £uvre. »

La rencontre avec Hergé, dans une galerie d’art de l’avenue Louise en 1963, est décisive:  » Il m’a demandé de venir chez lui, à Uccle, lui raconter l’histoire de l’art contemporain. Hergé exprimait une douceur d’être et une attention à autrui incroyables, c’était une éponge. » Et depuis 40 ans, Sterckx en retire toute la masse humide et substantielle, vivante. A paraître prochainement: La chorale de Tintin sur l’univers sonore glouton du petit reporter.

Changer de vie

En 1996, après 30 années dans l’enseignement – Saint-Luc et La Cambre -, Pierre quitte Bruxelles et la Belgique – » pays assez con avec de petits génies fulgurants »- pour recommencer une nouvelle vie à Paris où il enseigne aux Beaux-Arts.  » J’ai vendu les planches que j’avais et je me suis acheté un appartement près de Bastille. » L’homme souriant qui se définit comme  » un angoissé et dépressif qui se soigne » est arrivé à une forme de sérénité dans l’écriture qui lui donne du  » bonheur ». Admirateur de Deleuze et Barthes, il en a conçu une machine réflexive qui débusque immanquablement les faussaires. Dans Impasses & impostures en art contemporain (Pamphlet, 2008), il fustige entre autres Damien Hirst – l’anglais qui découpe des animaux dans du formol… – pour son  » manque de plasticité ». Faux artiste, vrai promo-dollar. Consultant pour les collectionneurs, monteur d’expos, conférencier, Sterckx est un homme qui pense que  » l’art, c’est miser sur un plus de vie »à En s’amusant. Comme Tintin.

Sexties jusqu’au 3 janvier 2010 au Bozar, www.bozar.be, Pierre Sterckx donne prochainement des conférences à l’Iselp à Bruxelles, www.iselp.be

Philippe Cornet

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