UN AN À PEINE APRÈS UN ELYSIUM QUASI AMBIENT, LE PLUS CÉLÈBRE DUO ÉLECTRONIQUE DE LA PLANÈTE REVIENT AUX SONORITÉS PRO-KOLKHOZE ET SIMILI-ANNÉES 80 AVEC ELECTRIC. L’OCCASION DE PARTAGER EN EXCLU AVEC NEIL TENNANT QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR BRUCE SPRINGSTEEN, LA GAY CULTURE OU LES ÉCOLES CATHOS.
Contrairement à un bobard de janvier 2013, Neil Tennant n’est pas mort dans un accident de voiture près de Roswell, le QG des aliens malheureux. En cette fin mai, il est installé dans une salle de réunion d’un hôtel de Shoreditch, quartier bobo londonien. Taille moyenne, cheveux en récession, un doigt précieux, le tout livré à un costume de bonne coupe. L’histoire retient déjà que ce gentleman, né le 10 juillet 1954 dans le Tyneside du nord-est de l’Angleterre, a vendu sous le patronyme Pet Shop Boys 50 millions de disques. Success story partagée avec le cadet Chris Lowe -4 octobre 1959, Blackpool-, co-auteur d’une série de titres insubmersibles, reformatant la dance-music en vaudeville rythmé volontiers ironique. A moins d’un échouage en île déserte, vous n’avez pu échapper aux tubes West End Girls, It’s a Sin, Always On My Mind ou Go West, pétris de décalage glam et de gay attitude variable, même si nos duettistes ne sont pas en couple. Si sa période commerciale phare pivote de 1984 au mitan des années 90, PSB reste une valeur internationale, qui vend encore des disques et remplit régulièrement des salles, d’ici à Santiago du Chili. Pour son 12e album qui sort ce 15 juillet, Neil Tennant se plie donc en solo à l’exercice de l’entretien. Celui-ci dure 29 minutes 46 secondes.
Quelle a été ta réaction, l’année dernière, lorsque Elysium a été, commercialement parlant, tièdement accueilli?
On connaît le risque commercial de ce genre de disque, même si celui-ci contient plusieurs chansons accrocheuses telles que Leaving, A Face Like That ou encore Memory Of The Future. Il nous restait de bons titres et on avait l’intention, après Elysium, de faire un album ouvertement dansant, comme une sorte de potentiel Disco 5 (1). L’idée de disque dansant s’est juste métamorphosée en 12e album des Pet Shop Boys.
Qui, fait historique, n’est plus sur EMI (Parlophone), votre label depuis 28 ans!
Oui, nous sommes restés 28 ans avec EMI, c’est-à-dire la plus longue durée de l’histoire de la boîte et j’en suis très fier: la compagnie avait une option sur deux albums supplémentaires mais elle a sans doute considéré que l’on faisait davantage partie de l’histoire que du présent. Notre manager nous a parlé de Kobalt(qui vient de signer Prince, ndlr), nouveau modèle économique, partenariat dans lequel nous serions propriétaires de nos enregistrements. Ce qui nous a convaincus d’aller chez Kobalt est leur distribution du dernier Nick Cave, son disque le plus présent dans les charts de toute sa carrière!
Electric propose une reprise du Last To Die de Bruce Springsteen, extrait de son album Magic de 2007. Pet Shop Boys, terre de contraste?
Produit par Stuart Price, cela sonne comme The Killers (rires): la chanson est réellement bonne et contient ce que l’on aime chez Springsteen, un riff de guitare formidable (il fredonne)! Il n’y a pas de contre-emploi ou de décalage lorsque le texte, le morceau, sont bons. Et je n’oublie pas que Springsteen a écrit, en 1994, l’une des meilleures chansons sur l’avènement du sida, Streets Of Philadelphia.
Dans Elysium, vous utilisez la musique d’Handel, et sur Love Is A Bourgeois Construct d’Electric, on entend Purcell: deux compositeurs anglais archi-classiques. Pourquoi ces emprunts?
Le rock a beaucoup d’éléments communs avec le classique: l’énergie, les accords majeurs, le sentiment de bonheur. Pas mal d’arpèges de Purcell ou Handel sont totalement comparables à ceux qui se trouvent dans la programmation de mes synthétiseurs! Chris a suggéré Purcell, dont Michael Nyman s’était inspiré dans le film de Peter Greenaway, Meurtre dans un jardin anglais: cela sert complètement le morceau, Love Is A Bourgeois Construct, dont les paroles sont formidables (sourire). C’est aussi la plus Pet Shop Boys de l’album!
Tu penses vraiment que « l’amour est une construction bourgeoise« ?
Non, je ne le pense pas (sourire). L’inspiration vient d’un roman de David Lodge (auteur anglais né en 1935, ndlr), Nice Work, dans lequel le directeur d’une grosse compagnie tombe amoureux d’une prof de gauche spécialisée dans le roman féminin, qui lui demande si l’amour est une construction bourgeoise… Quand vous écrivez une chanson, il y a toujours une part de votre cerveau à la recherche d’une nouvelle façon d’évoquer l’amour, ce qui est très difficile.
On ne quitte pas tout à fait le terrain des rapports politiques avec Bolshy qui sonne comme un nouveau Go West, parfumé de mots en russe…
Bolshy est un mot de slang qui vise une personne rebelle, gênante: en studio avec le producteur Stuart Price, on a introduit quelques phrases dans un programme de traduction automatique et cela donne les mots russes que tu entends, ce qui ne nous fera pas forcément gagner de nouveaux fans à l’est (sourire). Il y a toujours eu quelque chose de russe autour des PSB, je ne sais pas très bien pourquoi. Peut-être parce qu’à 12 ans, j’ai acheté un bouquin sur la révolution russe, qui m’a totalement fasciné. Gamin, j’ai d’ailleurs essayé d’apprendre la langue, je connaissais l’alphabet cyrillique.
Tu es allé à la très catholique St. Cuthbert’s Grammar School à Newcastle: avec le recul et l’âge, que penses-tu du processus d’éducation religieuse?
J’y suis allé de 11 à 18 ans, mon école était très stricte et je la détestais. Cela m’a donné l’inspiration des paroles pour It’s a Sin: cela a donc fini par payer largement (rire libéré). Pendant quelques années, j’ai éprouvé une sorte d’attendrissement ému pour l’église catholique, mais cela m’est devenu impossible vu la façon dont elle a répondu aux multiples scandales de pédophilie. Complètement institutionnelle, l’Eglise s’est protégée elle-même plutôt que de penser aux enfants concernés. A l’école, nous avions étudié la Réforme et la déclaration de Martin Luther proclamant que le Pape était l’antéchrist de Rome. Je pense aujourd’hui que Luther avait raison. Comme Sinead O’Connor déchirant en public la photo du pape (2).
Tu grandis à Newcastle dans les années 60 en pleine gloire de la pop anglaise: la musique doit faire partie intégrante de ton ADN, comme la structure sociale de ta famille!
J’ai grandi des Beatles à Bowie, de 1962 à 1973. Ma mère vient d’une famille ouvrière, mon père, représentant de commerce, plutôt de la classe moyenne, et j’ai donc grandi de façon assez heureuse dans cette famille de trois garçons et une fille habitant l’une de ces typiques maisons anglaises jumelées. J’accompagnais mon père qui vendait des tapis roulants dans des usines, ou on allait au match de cricket du samedi, les femmes y préparaient des sandwiches et un thé fantastique (…). Je possède toujours une maison à Durham, à 25 kilomètres au sud de Newcastle.
Tu étais fasciné par ce qui restait de la grandeur britannique?
Je ne pensais pas en ces termes, même si j’étais fasciné par l’Histoire depuis l’âge de sept ans. Je ne suis sorti d’Angleterre pour la première fois qu’à 20 ans (en 1974), avec ma girlfriend (sic), on est allés à Paris et Amsterdam, dans des hôtels de merde: c’était terriblement romantique (sourire). Enfant, je jouais un peu de batterie puis je me suis débrouillé pour apprendre des rudiments de guitare dans un livre, tentant ensuite de transposer les accords sur le clavier de piano de ma soeur. J’ai écrit mes premières chansons à 12, 13 ans, et me suis inscrit à une troupe de théâtre pour jeunes, où je jouais par exemple Under Milk Wood de Dylan Thomas. A 16 ans, je faisais partie d’un groupe folk, Dust, et puis je suis parti à Londres où j’ai commencé à faire la tournée des éditeurs, y compris Rocket, le label d’Elton John. Quand j’ai rencontré Chris, à l’été 1981, cela faisait dix ans que j’écrivais de manière assez sérieuse de la musique.
Tu as longtemps soutenu le parti travailliste mais tu sembles avoir laissé tomber, pourquoi?
Je ne comprends pas la politique anglaise actuelle et ne me sens impliqué dans aucun des partis existants: désormais, la politique veille essentiellement à la préservation de sa propre espèce, comme si c’était juste un exercice de marketing. Auparavant, les conservateurs venaient de l’aristocratie ou des classes supérieures, les travaillistes essentiellement des syndicats et les rares libéraux étaient plutôt des intellectuels de la classe moyenne. Aujourd’hui, les leaders des trois partis anglais sont issus des classes aisées, ce qui peut expliquer leur détachement de la vie réelle.
Y a-t-il une chanson que tu considères comme ouvertement politique sur le disque?
Hier, un journaliste allemand m’a dit qu’il trouvait le disque intégralement politique (sourire): Bolshy, Love Is A Bourgeois Construct et puis cette citation de William Blake(3) dans Inside A Dream, sans oublier la dernière plage qui s’ouvre avec la phrase « I like the people ». On est donc vraiment en présence d’un disque de gauche (rire).
Tu as suivi le débat en France, et les manifestations souvent violentes, autour du mariage gay?
Oui, cela a divisé la France selon le découpage très classique qui existe depuis la Révolution française, entre les supporters de l’Eglise et les anticléricaux. En Grande-Bretagne et, de façon assez inouïe, aux Etats-Unis, le mariage gay est moins controversé. J’ai toujours nié l’existence, y compris dans les années 80, d’une « culture gay »:je pense simplement qu’il y a une culture, qu’elle ne dépend pas de la sexualité et qu’elle traduit ce que vous êtes. Pendant longtemps, les PSB ont été identifiés comme « groupe gay »:à ma grande satisfaction, cette idée semble s’être dissoute au fil du temps, PSB étant juste deux types qui font de la musique sans devoir être labellisés. Je sais, vu mon expérience avec les firmes de disques, que si on vous accole l’étiquette gay, vous ne serez promotionnés que sur ce marché-là! Et ce n’est pas très sain parce que je sais aussi que les hommes gay n’écoutent pas forcément de musique gay, mais ce qui correspond à leurs goûts. Donc pas seulement des remixes de Kylie Minogue, la notion hétérosexuelle de la gay culture (sourire).
Quelle est ta relation au dancefloor? Tu sors encore en boîte?
A Berlin, où l’on a enregistré, on sortait au Berghain et dans des clubs assez marrants de Kreuzberg, ou alors on débusquait d’hallucinantes discos turques. Tu sais, je vais en boîte depuis 1973 (…), j’y ai investi ma jeunesse (rire hilarant) et je trouve que les clubs constituaient auparavant un environnement plus excitant! Quand Smash Hits,où j’étais journaliste, m’envoyait à New York au début des années 80, je sortais à l’Area, un nightclub d’Hudson Street: tu entrais et tu voyais du « living art work ». Rien que les toilettes, pour diverses raisons, constituaient une sorte de club (sourire), et puis tu tombais sur Andy Warhol ou une autre star. Le son était étonnant, l’environnement changeait chaque mois: c’est assez rare aujourd’hui que tu entres dans un club avec cette même impression.
(1) PSB A SORTI QUATRE ALBUMS DE REMIX SOUS LE TITRE DISCO.
(2) LE 2 OCTOBRE 1992, LORS D’UN PASSAGE TÉLÉ À SATURDAY NIGHT LIVE.
(3) ÉCRIVAIN, PEINTRE ET IMPRIMEUR ANGLAIS (1757-1827), INFLUENCÉ PAR LES RÉVOLUTIONS FRANÇAISE ET AMÉRICAINE.
RENCONTRE PHILIPPE CORNET, À LONDRES
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