Partie de pêche

© CHRIS LA TRAY

Réédité dans une nouvelle traduction, le roman culte de David James Duncan est un récit initiatique qui se dévore comme le brochet mord à l’hameçon.

Les chats ne font pas des chiens, comme on dit: Henning Hale-Orviston alias H2O, une sorte de sommité de la pêche à la mouche, tant par ses exploits canne à la main que par ses écrits grandiloquents sur le sujet qu’il publie à foison dans la presse spécialisée, et sa femme, Carolina Carper, appelée Ma, une sorte de « cow-girl rustaude », fan de pêche elle aussi, mais -quelle idée!- à l’appât, vont un jour donner naissance à Gus, véritable prodige des rivières, et accessoirement héros et narrateur de cette histoire rocambolesque. « L’eau ne figure pas dans son thème astral », dit-on de Bill Bob, le jeune frère de Gus, quand ce dernier ne vit et respire que pour tout ce qui touche de près ou de loin à la pêche.

Que personne ne s’affole: que l’on soit un pêcheur à la mouche de classe mondiale, qu’on tâte le goujon toutes les trois semaines ou qu’on s’en tamponne franchement le coquillard de la pêche à la ligne, c’est palpitant de bout en bout. On rit beaucoup aux descriptions des interminables disputes entre Ma et H2O, mais la vie dans une telle famille ne laisse pas indemne, et Gus ne peut que constater les dégâts. Si on ajoute à cela « des notes qui ne [lui] permettraient d’entrer nulle part, sauf peut-être en prison », il était plus que temps pour lui, à 19 ans, de déguerpir du pesant foyer familial et de s’adonner à son activité favorite, comme il l’a planifié dans son  » programme idéal », pour au moins « 14 h 30 min par jour ». Il se déniche alors une cabane de pêcheur au bord d’une superbe rivière côtière de l’Oregon. Enfin seul, mais soudain confronté à la mort, il va traverser une crise existentielle: « Tout ce que j’avais en tête provenait des magazines de pêche, des manuels de pêche, romans de pêche. Et qu’est-ce que ces ouvrages pouvaient bien avoir à dire sur le sens de la vie et de la mort? »

Partie de pêche

Près de sa rivière

Gus ne l’avait peut-être pas vu venir -nous, si-, mais débute ainsi une quête initiatique, une odyssée picaresque. Il va rencontrer quelques personnages étonnants et fous, comme le philosophe Titus et son chien Descartes. Puis, un jour, sur les bords de SA rivière Tamawanis, qu’il s’acharne à garder secrète, il va trouver l’amour: « Je n’étais pas habitué à voir ce genre de choses, encore moins dans les arbres, encore moins en train de pêcher, et encore moins gracile, la peau dorée, jeune, blonde, seule, et… » Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’y ait « plus grand chose à raconter »

Le roman de David James Duncan fait beaucoup penser au Monde selon Garp, sorti à peine cinq ans plus tôt (en 1978). Comme son glorieux aîné, La Rivière Pourquoi est devenu culte aux USA; alors on ne prendra pas trop de risque en affirmant qu’avec son écriture limpide et son récit riche, drôle, philosophique, et à la lisière du fantastique, il affiche la même évidence que le chef-d’oeuvre de John Irving.

La Rivière Pourquoi

De David James Duncan, éditions Monsieur Toussaint Louverture, traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Lederer, 480 pages.

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