SI ELLE A GRANDI EN BRABANT FLAMAND, LA RÉALISATRICE FIEN TROCH A AUJOURD’HUI BRUXELLES SOLIDEMENT CHEVILLÉE AU CORPS. WELCOME TO THE JUNGLE…

Bruxelles downtown, un mardi matin sous le soleil. Fien Troch est arrivée légèrement en avance au rendez-vous. « Hier, quand j’ai conduit mon fils à son premier jour de stage au Bozar, il a eu un peu de mal… Il n’avait pas trop envie de lâcher sa mère (sourire). J’avais peur que ce soit un peu le même scénario ce matin. Mais finalement, quand je l’ai déposé, il a directement rejoint ses camarades…  »

Si le nom a encore un peu de mal à passer la frontière linguistique, Fien Troch (1978) est pourtant bien l’une des valeurs sûres du nouveau cinéma flamand. Il n’a fallu que trois films pour cela: Een ander zijn geluk (2005), Unspoken (2008) et le récent Kid, oeuvre remuante dans laquelle notre estimé collègue Louis Danvers voyait l' »un des plus beaux films tournés au nord du pays. Un petit chef-d’oeuvre aussi sobre qu’intense, aussi captivant qu’émouvant. » Si Kid prend pour décor la Campine profonde, c’est bien à Bruxelles que Fien Troch a élu domicile depuis une quinzaine d’années. « Au départ, j’y suis venue pour mes études de cinéma, à Sint-Lukas. Mais j’ai grandi à Londerzeel.  »

Sur l’A12, à la limite de la province d’Anvers, Londerzeel compte quelque 18 000 habitants. « Bruxelles était un peu la ville pour aller faire du shopping, se rendre au ciné, sortir… Plus qu’Anvers en tout cas. » Le père de Fien, Ludo Troch, monteur réputé, l’y emmène aussi régulièrement, quand il vient travailler à la capitale. « Mon premier souvenir de Bruxelles est un souvenir de cinéma, quand on allait voir un film à l’UGC City 2 (salle installée au coeur du shopping mall, aujourd’hui disparue, ndlr). »

Le cinéma donc, dès le départ comme point d’attraction. Après ses secondaires, Fien Troch hésitera bien: des envies de jouer la comédie d’un côté (le studio Herman Teirlinck, à Anvers), la réalisation à Sint-Lukas de l’autre, à Bruxelles. Elle finira par s’inscrire à l’école de cinéma, mais met deux ans avant de louer un kot. « J’ai eu besoin de temps pour me poser. Toute ma vie sociale était concentrée à Londerzeel. Je ne venais pas spécialement dans la capitale pour en « profiter ». Sortir, faire la fête, j’avais déjà fait ça avant, de manière assez intense. Donc les premières années, Bruxelles était surtout fonctionnelle. La ville s’est longtemps limitée au City 2 et à la rue de l’école. Pourtant, paradoxalement, j’ai très vite su que je ne reviendrais pas à Londerzeel. A Sint-Lukas, on nous poussait aussi pas mal à flâner dans les quartiers, dans le métro, pour sentir l’atmosphère, nourrir notre inspiration… On nous demandait par exemple de faire le portrait d’une rue, ce genre de choses. A 20 ans, j’ai fini par prendre un kot. Depuis, je n’ai plus quitté Bruxelles…  »

Fien Troch habite aujourd’hui dans un appartement au bord de la rue Dansaert. Soit en plein coeur du quartier flamand. « C’est un pur hasard. D’ailleurs, on avait l’idée de s’installer sur Molenbeek, mais le projet a dû être mis plus ou moins entre parenthèses. » Tout de même, comment expliquer que la plupart des Bruxellois flamands finissent par atterrir dans le centre-ville? « Il y a en effet le mythe de Dansaert, où l’on peut croiser Arno, Dominique Deruddere, Marc Didden… Mais pourquoi eux-mêmes sont-ils venus s’installer ici, je n’en ai aucune idée…  »

Reality check

Petit à petit, la réalisatrice a cependant appris à élargir son rayon d’action. « Lentement mais sûrement -je suis assez paresseuse, l’idée de prendre un bus pour aller à Ixelles ou Saint-Gilles m’a longtemps freinée. C’est bizarre, parce qu’à Londres ou Paris, cela ne dérange personne de faire une demi-heure de métro pour se rendre quelque part. » Aujourd’hui, elle avoue traîner pas mal du côté du cinéma Galeries, du Bozar, de l’AB. Mais aussi de la place Flagey, du Wiels à Forest ou encore du parc Duden. Voire de s’arrêter place de Béthleem. L’endroit n’a pas toujours bonne réputation, mais « on adore se poser à l’une des gargotes grecques du coin, et commander des mezzes qu’on mange en terrasse, au soleil.  »

Par facilité et courtoisie, on tient la conversation en néerlandais, mais Fien Troch se débrouille parfaitement en français. « J’ai habité six mois à Paris, quand j’ai reçu une bourse de la Cinéfondation pour écrire. Dans mon imaginaire, je rêve d’y trouver un jour ou l’autre un pied-à-terre. » A peine sortie des secondaires, elle a également joué dans le film Saint-Cyr, donnant la réplique à Isabelle Huppert. « Je ne savais pas qui c’était. Le premier jour, je l’ai tutoyée sur le plateau. J’étais encore jeune, je venais de mon patelin en Flandres… -je sais, ce sont toutes des mauvaises excuses (rires). » Son plus grand fils, inscrit dans des maternelles francophones, est lui un parfait petit bilingue. « J’aime cette idée. Comme celle d’une ville réellement multiculturelle. »

Fien Troch a déjà filmé au moins une fois la capitale. C’était pour Unspoken. « En fait, on la reconnaît à peine, tellement les cadres sont serrés« , rigole-t-elle. L’idée qu’elle se fait de Bruxelles aujourd’hui? « Pour moi, c’est la seule vraie « grande ville » du pays. J’aime beaucoup Gand et Anvers, mais on y retrouve encore un peu ce sentiment de « village », où tout le monde connaît tout le monde. Bruxelles correspond davantage à l’idée que je me fais de la jungle urbaine (rires). Elle a un côté bordélique, qui est compensé par un tas de belles choses. » Le chaos, c’est d’ailleurs un peu ce qu’elle cherchait en débarquant à Bruxelles. « Au départ, c’était une sorte de reality check, une réelle confrontation. J’avais besoin de ça pour avancer. Je fonctionne souvent de cette manière. Même si je le regrette parfois au moment même, je dois sortir régulièrement de ma zone de confort pour pouvoir avancer. Un peu comme mon fils finalement, que je dois un peu pousser pour se rendre au stage (rires). »

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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