PERSONNE N’EN VOULAIT, MAIS ELLE L’A FAIT! DANIELLE ARBID JOUE LES RISQUE-TOUT AVEC UN PEUR DE RIEN DONT LA RÉUSSITE A UN PETIT GOÛT DE REVANCHE.

A l’âge de 17 ans, Danielle Arbid a quitté Beyrouth pour Paris. Elle y a fait des études, y est devenue cinéaste, retournant sporadiquement vers son Liban natal pour y tourner les remarqués -et primés- Dans les champs de bataille (2004) et Un homme perdu (2007). Son téléfilm pour Arte, Beyrouth Hotel (2011), même très vu, lui a donné l’envie irrésistible d’autre chose. Un film d’apprentissage sur… une jeune fille de 18 ans venue de Beyrouth vivre et étudier dans le Paris des années 90! Initialement titré Faire connaissance avec la France, il est devenu Peur de rien, et explose aujourd’hui sur nos écrans avec une folle énergie, une rare évidence. « Ce film, je l’ai tellement voulu, je me suis tellement battue durant trois ans pour le faire exister, cela explique sans doute le côté bras d’honneur qu’il y a dedans, déclare la réalisatrice. Personne n’en voulait, mais ce n’était pas qu’une question de financement, il y avait plus, il y avait le fait que j’allais parler de la France. J’en avais marre de tourner au Moyen-Orient. L’exotisme de Beyrouth Hotel m’avait écoeurée! Mais j’arrivais avec une vision de l’immigration opposée aux clichés misérabilistes, à la vision tragique qui sert de lieu commun. Je racontais l’histoire d’une immigrée certes confrontée à des difficultés, mais qui s’affirme dans cette France dont elle embrasse la culture, les débats. Une fille qui s’affirme, qui dévore la vie, qui trouve sa place, hors de tout esprit communautaire, de toute nostalgie, sans subir de discrimination, sans être en souffrance, sans être victime. Une vision comme celle-là, solaire, tournée vers le bonheur, est intolérable aux yeux de beaucoup… Mais ne pas voir qu’elle existe, c’est une forme de racisme inversé! Le miroir que j’allais tendre à la France révélait une image qui bouscule sans doute les conventions du prêt-à-penser actuel, dominé par la victimisation obligée. » Impression confirmée par le refus consternant du film achevé par le Festival de Locarno, lequel avait pourtant naguère offert un Léopard d’or et un Léopard d’argent aux travaux vidéo de la réalisatrice…

« On m’a dit que Peur de rien ressemble à un premier film, sourit Danielle Arbid. Je ne l’ai pas réalisé de manière sophistiquée, l’idée c’était de le faire de la manière la plus sauvage possible (en 30 jours, avec un million d’euros seulement), et de le cheviller au personnage de Lina, de le faire vivre au présent, à son présent à elle! » Longtemps, une actrice professionnelle et connue -que la cinéaste ne veut pas nommer- fut attachée au projet. Mais Arbid a préféré, in extremis, choisir une jeune étudiante… ingénieure, repérée par ses photos sur des réseaux sociaux et n’ayant aucune intention, au départ, de faire du cinéma! « Manal (Issa, NDLR) est, « heureusement », issue d’une famille très conservatrice, et son père lui a interdit de venir auditionner pour le film, se souvient la réalisatrice. Elle m’a dit plus tard que c’est pour braver cet interdit qu’elle était venue, plus que pour le film lui-même, au départ… » Tant de caractère ne pouvait que plaire à Danielle Arbid, qui cherchait à se retrouver dans un personnage librement mais clairement inspiré de sa propre trajectoire. « J’ai montré à Manal Rosetta des frères Dardenne, puis aussi A nos amours de Pialat et des films de Truffaut. C’est tout un monde qui s’ouvrait à elle! J’ai aimé son inexpérience. Moi-même j’essaie toujours d’être une page blanche avant de faire un film… »

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En déambulant ces jours-ci dans les couloirs d’un métro où se multiplient les affiches de Peur de rien, sa réalisatrice a ressenti une émotion très forte: « Je me suis dit: « Voilà, Paris est à moi! » » Un peu de revanche, sans doute, face à tous ceux qui ont nié son projet « parce que montrer une jeune Arabe qui sort en boîte et tombe successivement amoureuse de trois mecs, ça ne se fait pas, parce qu’il faudrait que son père veuille la marier de force, qu’elle soit plutôt syrienne que libanaise, qu’elle soit contrainte de faire la manche pour survivre… » Mais aussi un sentiment de bonheur face à « un film qui parle aux gens, aux jeunes surtout, et de la manière la plus directe qui soit, de mon intimité à la vôtre, un film qui ne doit rien à personne, et montre qu’il peut y avoir une vie heureuse, après l’immigration, un idéal de vie, la liberté, la culture si riche et multiple dont la France est porteuse. Il m’aura fallu 25 ans pour admettre que j’aime être là, vivre dans ce pays, que le bonheur y est possible. Mais maintenant je le sais, je dis merci. Mon film évoque le passé mais il pointe du doigt l’avenir. On devient ce qu’on est, et ce que j’ai trouvé en France, ceux qui m’y ont tendu la main, m’y ont beaucoup aidée! »

RENCONTRE Louis Danvers

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