Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

DEUX DÉCENNIES APRÈS AVOIR ACCUEILLI LE TRAVAIL DE NAM JUNE PAIK, LA KEITELMAN GALLERY REVIENT SUR L’oeUVRE PLUS PERTINENTE QUE JAMAIS DU CORÉEN.

Behind the screen

NAM JUNE PAIK, KEITELMAN GALLERY, 44, RUE VAN EYCK, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 18/01.

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Il en va des artistes comme des écrivains, du moins des vrais écrivains. Les littérateurs pour qui écrire n’est pas une « petite affaire personnelle« , comme le disait Gilles Deleuze, ont de l’or sous la plume: leurs écrits ont plusieurs années d’avance sur les concepts que forgeront péniblement les philosophes pour essayer d’y voir clair. La littérature est prospective. De la même façon, les artistes sont en avance sur leur temps, s’emparant avec une étrange facilité de l’immédiateté, de ce qui déjà nous dépasse. Cette course-poursuite n’est pas sans conséquence, qui laisse trop souvent plasticiens et performeurs déshérités et incompris. C’est le cas de Nam June Paik, que l’on peut qualifier de « prophète du premier âge » de l’art vidéo. En 1963, alors que les images de la guerre du Vietnam pénètrent dans les foyers et qu’apparaissent les premières caméras de surveillance, le Coréen défraie la chronique en donnant à voir dans la galerie Parnass de Wuppertal une série de téléviseurs bidouillés. L’idée lui est venue à l’occasion d’une invitation du studio de musique expérimentale du Westdeutscher Rundfunk de Cologne: Paik en profite pour plonger les mains au coeur du mystère et en extirpe des tubes cathodiques qu’il va solliciter avec l’acharnement d’un serial-killer, d’un docteur franchement maboul. Son but? Epuiser les possibilités de modulation de l’image, en révéler l’incroyable plasticité. Cette esthétique de l’image brouillée ne lui suffit pas. Deux ans plus tard, il se procure la première caméra vidéo disponible sur le marché, la Portapak de Sony. Avec celle-ci, il filme une visite du pape à New York et présente la bande qui en résulte comme un « nouvel art à venir« . Lui qui à la base est compositeur se tourne désormais vers les infinies potentialités de l’image électronique. Il ira jusqu’à réaliser des plafonds d’écrans générant un flot d’images vertigineux, préfiguration avant la lettre des environnements multimédias.

Face à la radicalité et l’intelligence de ce travail, on n’est pas surpris d’apprendre que rares ont été les galeries à sauter dans le train de cette nouvelle mouvance -sans parler des musées, pour qui il s’agissait alors d’un art trop immatériel.

Autre facette

La Keitelman Gallery peut s’enorgueillir d’avoir eu du flair car elle est l’une des rares galeries belges à avoir collaboré avec l’artiste de son vivant. Une telle exception méritait un coup d’oeil dans le rétroviseur, qu’elle s’offre à travers une présentation de pièces marquantes signées dans les années 80 et 90 -soit un travail plus tardif et parfois plus léger à certains égards, rappelons que Paik est décédé en 2006. Un exemple? « L’autel anthropomorphe » que constitue Cage in Cage in a Cage… Soit un hommage à John Cage, auquel il doit beaucoup, qui consiste en un jeu de mots sur le patronyme du compositeur. Cette mise en abîme affirme la liberté de Cage par un intéressant truchement: Cage est tout autant la cage que dans la cage et en dehors d’elle, « son esprit flotte partout« . Le visiteur n’a plus qu’à s’en réjouir.

WWW.KEITELMANGALLERY.COM

MICHEL VERLINDEN

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