ZERESENAY BERHANEMEHARI PLACE L’ETHIOPIE SUR LA CARTE MONDIALE DU CINÉMA, TOUT EN CÉLÉBRANT LE COMBAT DES FEMMES.

Entre la loi et la tradition, la toute jeune héroïne de Difret et son avocate mènent une lutte incertaine. Dans un style direct, privilégiant l’identification sans devenir par trop démonstratif, Zeresenay Berhane Mehari raconte leur combat. Et inscrit l’Ethiopie sur la carte mondiale du 7e art, alors même qu’une centaine de films sont tournés chaque année dans ce pays de 90 millions d’habitants situé dans la corne de l’Afrique, et que la capitale Addis-Abeba compte à elle seule 22 cinémas! « Certains de ces films évoquent des sujets très intéressants, commente le réalisateur de Difret, mais la plupart souffrent de trop de maladresses et n’atteignent pas les standards techniques exigés pour entrer sur le marché.« Une campagne sur Kickstarter (site Web spécialisé dans le crowdfunding) a permis de réunir l’essentiel du budget de son film. Et la société Panavision a offert une contribution en matériel caméra au jeune Ethiopien qu’elle avait connu durant les années où il vécut aux Etats-Unis. « J’ai fait mes études à Los Angeles, à l’USC (University of Southern California, ndlr), et c’est durant mon séjour aux USA que sont survenus les événements racontés dans Difret,se souvient Mehari. Je n’en ai pris connaissance que sept ans plus tard. J’ai rencontré l’avocate qui avait porté l’affaire au plus haut niveau, et j’ai compris à quel point ce combat, mené en Afrique par des femmes de plus en plus nombreuses, était important. » Le réalisateur s’empresse de préciser que « si la lutte pour les droits des femmes est cruciale à mener sur le continent africain, d’autres parties du monde et même d’Europe sont toujours marquées par des traditions rétrogrades, par une inégalité de fait -sinon toujours de droits- entre les sexes« .

Six années furent nécessaires à la concrétisation du projet Difret. Le temps pour son réalisateur de surmonter pas mal d’obstacles, le temps aussi pour lui de « nourrir une motivation de plus en plus grande à témoigner, car si les femmes éthiopiennes ont vu leurs droits reconnus suite au jugement de l’affaire, la société toujours dominée par les hommes continuait à manifester une lourde inertie, une grande résistance au changement. Même des gens n’approuvant pas les mariages par enlèvement disent encore souvent que cela fait partie de notre histoire, de nos traditions, et qu’il faut donc les respecter… Le seul moyen pour moi de ne pas être également complice était de faire ce film à tout prix! »

L’Afrique, c’est où encore?

Le Festival de Sundance a révélé Difret, qui a ensuite fait voyager son réalisateur dans plus d’une vingtaine de festivals internationaux. Peu de film africains connaissent aujourd’hui pareille exposition, alors qu’ils étaient présents de manière régulière, y compris à Cannes, dans les années 80 et 90… « Ces films étaient tous issus de pays ayant subi la colonisation, et ayant des accords de coproduction avec les ex-puissances coloniales (la France et le Royaume-Uni), explique Zeresenay Berhane Mehari. Les pays de l’est de l’Afrique, le Kenya, la Tanzanie, n’ont pourtant pas connu pareille opportunité. L’Ethiopie non plus, même si nous avons été colonisés par l’Italie. Pas d’accords de coproduction, pas non plus de fonds accordant le moindre subside… Nous faisons des films pourtant! Et des bons! Mais les festivals occidentaux n’accueillent que les films coproduits par des Occidentaux qui les poussent vers la sélection et ensuite vers une sortie en salle. C’est terriblement injuste! Surtout pour les jeunes réalisateurs africains de talent dont les producteurs français ou anglo-saxons ne voient pas le travail. »

La participation d’Angelina Jolie au titre de productrice exécutive aura donc sans nul doute offert à Difret une exposition qu’il mérite mais aurait pu, sinon, ne pas recevoir… « Nous devons être lucides sur l’ignorance dans laquelle les cinémas d’Afrique sont tenus, clame Mehari, et savoir que la clé, pour les films artistiquement valables que nous faisons, est de trouver une distribution à l’échelle globale, ce qui ne peut venir que du business. » Cette conscience des réalités économiques est d’une importance singulière dans un contexte africain où les relais sont rares pour montrer un film, pour le soumettre au regard des spectateurs. Le fait que Meron Getnet, la grande actrice de cinéma et de télévision qui joue l’avocate dans Difret, soit « la personnalité la plus populaire d’Ethiopie« , garantit par exemple là-bas une distribution acceptable et un potentiel d’audience agrandi pour un film appelé à faire débat.

RENCONTRE Louis Danvers

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