Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

CRITIQUE LITTÉRAIRE, ORIANE JEANCOURT GALIGNANI SORT DU BOIS EN PUBLIANT UN PREMIER ROMAN VIBRANT SUR LA GRANDE POÉTESSE AMÉRICAINE SYLVIA PLATH.

Son visage ne vous est pas inconnu si vous consommez la télé dès l’aube, ni sa signature si vous lisez la presse française. Chroniqueuse à la Matinale de Canal+, journaliste au Point, Oriane Jeancourt Galignani est depuis deux ans la rédactrice en chef des pages livres de Transfuge, revue littéraire et cinématographique à laquelle collaborent aussi François Bégaudeau ou Yannick Haenel. « On monte nos dossiers comme de véritables laboratoires de réflexion sur la fiction contemporaine. »

Influence d’une mère allemande sans doute, la jeune femme se passionne très tôt pour la littérature germanique et d’Europe centrale. Consacre une maîtrise à l’exilé James Joyce à la fin de ses études de lettres -« Devant Joyce, on est un peu comme face à Dieu. On se sent tellement écrasé, exactement comme quand on lit Proust. » Accablée sans doute par la comparaison avec d’indépassables maîtres, la jeune femme met du temps à aboutir à une fiction. Jusqu’à ce que surgisse l’évidence Sylvia Plath, poétesse américaine (1932-1963) et compagne suicidée de l’écrivain Ted Hughes. Adolescente, Galignani avait lu l’autobiographique Cloche de détresse. Il y a trois ans, elle découvre son recueil de poésie Ariel. « J’ai été bouleversée. Ce sont des poèmes funèbres: Sylvia Plath n’y parle que de mort. Et pourtant, ses vers célèbrent la vie dans chaque instant: c’est une poésie du réel, de la nourriture, de la sexualité, de la maladie. Ça m’a passionnée: comment peut-on écrire un recueil qui charie une telle puissance et une telle faiblesse de vivre à la fois? » Pétrie de contradictions bouleversantes, Plath délie son imagination intérieure. « Contrairement à Joyce, Plath ne fait pas peur. C’est une auteure qui nous devient intime, sans trop qu’on sache pourquoi. »

Perdre la honte

Mourir est un art, comme tout le reste prend alors la forme d’un portrait sensible de fin de vie de la poétesse, constamment incrusté des vers de Plath elle-même. Composer avec la biographie d’une autre: une manière de contourner le sacro-saint passage par l’autofiction? « A l’origine, il y a toujours cette question du nombre de centimètres qu’on met entre le roman et sa propre histoire... Ecrire, c’est perdre la honte. Et choisir d’écrire sur un autre écrivain m’a sans doute permis de perdre la honte plus facilement. Tout en laissant penser que ce n’était pas de moi que je parlais… » A travers Plath, fougueuse idéaliste qui pense révolutionner la poésie et la littérature sans obtenir de reconnaissance de son vivant, Galignani, 32 ans, avoue avoir aussi poursuivi un thème du désenchantement qui lui était cher: « J’ai toujours été fascinée par l’idée d’une jeunesse qui pense à 20 ans qu’elle trouvera sa place, et puis qui à 30 ans prend conscience que la société se referme déjà… »Une attention à un espace de curiosité et de possible que, peu ou prou, elle défend aussi en tant que critique: « La pensée réactionnaire du « c’était mieux avant », c’est insupportable. L’art se fait encore aujourd’hui: il faut regarder les nouvelles formes. A Transfuge, on ne défend pas les gens installés. Tant que je serai à la tête des pages livres, Houellebecq ne fera jamais la une… »

Forte d’une première publication, la journaliste s’en retourne désormais à sa rédaction avec un regard changé. Comme décillé sur la difficulté de l’écriture. Mais avec une profession de foi intacte: « Pour un critique, il n’y a rien de plus passionnant que d’assister à l’éclosion d’une oeuvre, de voir quel point obscur de notre époque elle dévoile. » Dixit une critique, entre-temps devenue romancière…

?MOURIR EST UN ART, COMME TOUT LE RESTE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 192 PAGES. ***

YSALINE PARISIS

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