TEMPS FORT DU 13E FESTIVAL DE MARRAKECH, LA MASTERCLASS DE NICOLAS WINDING REFN A VU LE RÉALISATEUR DANOIS DONNER QUELQUES CLÉS DE SON PARCOURS, DE PUSHER À DRIVE

C’est là une tradition bien établie: organisées en marge des projections, les masterclass du festival de Marrakech en constituent l’un des temps forts, suivies d’ailleurs par un public nombreux, composé pour bonne part d’étudiants en cinéma, trop heureux de glaner là quelques conseils avisés. Francis Ford Coppola, les frères Dardenne, Darren Aronofsky ou encore Matteo Garrone comptent parmi les réalisateurs s’étant succédé à la tribune de la Salle des Ambassadeurs, rejoints cette année par James Gray, Bruno Dumont et Nicolas Winding Refn. Soit l’occasion, pour le réalisateur de Drive et de Only God Forgives, de revenir sur les fondements de son parcours en compagnie de l’excellent Yann Tobin, bien connu des lecteurs de Positif. Morceaux choisis.

POURQUOI PAS MOI? « J’ai grandi dans une famille de cinéma. Mon père était monteur, ma mère photographe; lorsqu’ils ont divorcé, elle s’est remariée avec un distributeur. Mon initiation à la réalisation s’est faite par ce biais. J’assistais au marché du film, à Cannes, et c’est une expérience capitale: on y apprend ce qui fait la valeur d’un film. (…) J’ai contribué à la distribution de deux films au Danemark: Henry: Portrait of a Serial Killer, de John McNaughton, et Clerks, de Kevin Smith, que j’ai adoré. Quand j’ai vu ce film, je me suis dit que je pourrais en faire autant, ce qui m’a poussé à tourner mon premier long métrage. »

LES VERTUS DE L’ARROGANCE. « J’ai fait mon premier film, Pusher, avec l’assurance de l’arrogance. A ce stade, cela peut se révéler être une force: on pense tout savoir, et quand on réalise que ce n’est pas le cas, il est de toute manière trop tard. Je voulais tourner un film sans qu’il y ait à transiger. J’ai fait des erreurs, mais pour de bonnes raisons. »

UN SOUCI D’AUTHENTICITÉ. « J’étais obsédé par le sens de l’authenticité. La télé-réalité n’était pas encore aussi populaire, et j’étais intrigué par la perspective de porter la vie telle qu’elle est à l’écran. Tout devait donc être réel: la drogue l’était, et les bastons ont fini par le devenir également, malheureusement. Vu le manque de moyens de ce premier film, le côté documentaire était un choix évident. »

TOURNER DANS LA CHRONOLOGIE. « Peu avant de me lancer dans Pusher, ma mère m’a offert une biographie de John Cassavetes. J’avais beaucoup aimé The Killing of a Chinese Bookie, et particulièrement le jeu des acteurs. Cassavetes défendait le tournage dans l’ordre chronologique de l’histoire, et je l’ai appliqué moi aussi. Je m’y tiens d’ailleurs toujours, parce que j’apprécie qu’il y ait une part d’incertitude dans la création, cela rend l’ensemble du processus beaucoup plus stimulant. »

UN DÉSASTRE MASSIF… « J’ai eu la chance de faire l’expérience de l’échec à un jeune âge. Ce n’est que lorsqu’on connaît l’échec que l’on comprend ce qu’est effectivement le plaisir. Après Pusher, j’ai tourné Bleeder, qui m’a introduit dans le circuit des festivals. La compagnie de distribution a cependant fait faillite, et le film a été retiré du marché de nombreuses années. Ce fut une expérience fort douloureuse, et j’ai décidé de me lancer dans mon premier film anglophone, convaincu que le genre de films que je faisais serait plus facile à financer si je les tournais en anglais. J’ai donc tourné Fear X, avec des acteurs connus dont John Turturro, et cela a constitué un désastre massif, tant financièrement qu’artistiquement. Et j’en suis le seul responsable. »

… ET SES CONSÉQUENCES. « Quand je tournais ce film, j’avais l’impression d’être un don de Dieu à l’humanité. Et c’est devenu un échec colossal. J’y avais investi mon propre argent, et je me suis retrouvé ruiné, avec un million de dollars de dettes. J’avais 30 ans, et j’étais un has been, ma femme était enceinte de notre premier enfant, je m’apitoyais sur mon sort, j’étais pathétique. Mon premier souci a été de rembourser mes dettes. On m’a proposé de tourner un second Pusher pour me refaire, ce dont je ne voulais pas entendre parler: je n’y voyais que la démonstration supplémentaire de mon échec. J’avais toutefois un enfant et des responsabilités, et tant qu’à me résoudre à une idée qui me répugnait, j’ai décidé de tourner Pusher II et III. Et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Echouer est ce qui pouvait m’arriver de mieux: il faut apprendre que l’on ne peut pas marcher sur l’eau. J’ai réalisé qu’au début, je faisais des films reposant sur ma vanité et mon ego. J’ai remboursé mes dettes, et je suis reparti de rien. »

UNE AUTOBIOGRAPHIE FICTIVE. « Un producteur britannique m’a proposé de tourner un film sur Bronson. J’ai d’abord refusé, avant de trouver une ressemblance entre le personnage de Bronson et moi. Il est connu comme étant le prisonnier le plus violent de Grande-Bretagne, mais ce n’est jamais qu’un petit enfant voulant attirer l’attention, et cassant des choses à cet effet. Je pouvais établir un rapport avec ce comportement, et je me suis lancé dans le film, pour bientôt réaliser que je m’attelais à une biographie de ma propre existence. Voilà pourquoi le film débute sur le personnage disant: « Je m’appelle Charles Bronson, et toute ma vie, j’ai voulu être célèbre. » C’était exactement mon souhait lorsque j’ai commencé à faire des films. Mieux même, je voulais devenir une légende. L’échec m’a permis de tourner des films sans plus me soucier de ce que l’on pouvait bien attendre de moi. »

HOW TO MAKE IT IN HOLLYWOOD. « Au départ, Hollywood ne voulait pas de moi. Mais les choses se produisent parfois dans des circonstances étranges. Paul Schrader m’a un jour contacté pour me proposer de porter à l’écran son scénario The Dying of the Light. La proposition était alléchante, et nous avons obtenu l’accord de Harrison Ford. C’est toutefois l’une de ces histoires typiques de Hollywood où vous avez l’argent, la star, et où tout finit par partir en vrille… Un jour que j’étais à L.A. pour travailler au projet, j’ai reçu un coup de fil me demandant si je voulais rencontrer Ryan Gosling. Pour moi, ce n’était jamais qu’un souper à l’oeil. J’avais débarqué à Los Angeles avec une forte fièvre, et les médicaments que j’ai pris pour me soigner m’ont surtout rendu complètement raide. J’étais dans un état lamentable, à devoir rencontrer un type que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam. On se retrouve dans un restaurant, il était sympa, et moi, j’étais même incapable de tourner la tête: on aurait dit un blind date qui vire à l’aigre. Si bien qu’au bout d’une heure, je lui ai demandé de me reconduire à mon hôtel -je ne conduis pas, même si j’ai réalisé Drive. Le silence dans la voiture devenait embarrassant, il a mis la radio qui a diffusé I Can’t Fight this Feeling Anymore de REO Speedwagon. J’adore cette chanson, j’ai monté le volume et me suis mis à la chanter à tue-tête, dans une sorte de frénésie. Et tout à coup, j’ai eu cette vision d’un mec qui conduit une bagnole, en écoutant de la musique pop. Je me suis tourné vers Ryan pour la première fois et lui ai dit: « I’ve Got It! ». Et lui m’a répondu: « I’m In ». Cette histoire a créé un lien mystique entre nous qui a débouché sur Drive…« 

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Marrakech

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