November Ultra: « J’ai entendu ma mère dire qu’une fille d’ouvrier immigré ne pouvait pas devenir artiste »

November Ultra: "La vie est précisément dans ces moments inconfortables où vous sortez de votre zone de confort." © DR
Nicolas Naizy Journaliste

Après être restée longtemps dans l’ombre, la chanteuse parisienne sort un premier album en forme de confession crève-cœur, porté par une voix désarmante. November Ultra, c’est extra

Le manteau? Rose. Le mohair? Rose. Le chapeau? Rose. Attablée à une terrasse schaerbeekoise, November Ultra colore la grisaille de l’après-midi. Avec tout de même l’eye-liner noir emo comme point de fuite. À la manière des comédies musicales qu’elle a saignées durant son enfance et adolescence, la chanteuse affiche son double effet kiss cool: pétillante à l’extérieur, sombre et tourmentée à l’intérieur…

Il faut souvent du temps, et toujours du courage pour se lancer. À rebours du « tout, tout de suite » exigé de/par sa génération, November Ultra a oublié de se presser. Résultat: à 33 ans – « je sais, c’est tard, surtout pour une femme »-, elle sort son premier album, Bedroom Walls. Un disque de pop de chambre éblouissant, brassant les codes de l’époque -chanson, r’n’b, etc.-, sans jamais se perdre. Quelque part entre les confidences de Pomme et les dramas de Rosalía, zieutant les audaces stylistiques d’un Frank Ocean. En milieu de disque, elle pose d’ailleurs le titre Nostalgia/Ultra, morceau de plus de neuf minutes qui fait évidemment référence à la première mixtape du génie américain, sortie en 2011.  » Ah, Frank…C’est un artiste tellement incroyable. Quand j’ai entendu Nostalgia, Ultra, cela m’a vraiment réinsufflé l’envie de faire des albums. Il m’a rappelé où se nichait la musique. Et pourquoi la création était si importante pour moi. »

Pink matter

En l’occurrence, cela commence par son vrai (faux) prénom, November .  » Ou Nova, pour les copains. » Elle a imposé le pseudo il y a une dizaine d’années, référence à sa date de naissance, en 1988.  » Un 7 novembre. Comme David Guetta… Mais aussi Joni Mitchell, Lorde, Neil Hannon de Divine Comedy et Albert Camus. Pas mal, non? » De ce mois souvent mal aimé -plus vraiment l’automne, pas encore l’hiver-, Mélanie Pereira, pour l’état civil, a décidé d’en faire une fête, un porte-bonheur.  » Dans ma famille, on choisit beaucoup ses prénoms. En arrivant d’Espagne, ma mère a modifié le sien. Pareil pour mon père: quand il a débarqué du Portugal à 16 ans, il est passé de Manuel à Christophe parce que cela faisait davantage français! Et puis cela marque aussi quelque chose de très relationnel: selon le prénom que les gens utilisent pour s’adresser à vous, vous pouvez en déduire la proximité, à quel point vous êtes intime avec eux. »

November Ultra multiplie ainsi les identités, les fonctions -autrice, compositrice, productrice, interprète- et les langues. Elle parle (et chante) espagnol, portugais, anglais. Après les secondaires, elle s’est même assuré un master en traduction audiovisuelle.  » Mes parents tenaient à ce que j’ai d’abord un diplôme. J’ai quand même entendu ma mère dire qu’une fille d’ouvrier immigré ne pouvait pas devenir artiste… » Cela ne l’empêchera pas d’inscrire sa fille au conservatoire, où elle apprend le piano.  » Cela m’a permis d’acquérir des bases musicales solides. Mais c’était aussi un enseignement très strict, très codé. » Et étouffant?  » Disons que ce n’était pas toujours évident de se faire juger en permanence, surtout quand vous êtes encore tout gamin. » À 16 ans, elle décroche. Refroidie, voire un poil traumatisée. Pendant des années, elle laisse la musique de côté, préférant écrire un blog sur le sujet.  » Composer me semblait alors hors de portée. C’était quelque chose de tellement sacré, comme une cathédrale dans laquelle je n’étais pas sûre de pouvoir rentrer. »

November Ultra

Une première expérience en groupe va lui permettre de dépasser ses appréhensions. Avec Benjamin Porraz et Clément Roussel, elle forme Agua Roja. Elle a alors 24 ans, un diplôme en poche, et l’envie de se confronter à la vie tant rêvée.  » Le groupe m’a permis de vivre une série de « premières fois » de manière plus fluide que si j’étais montée seule au front. » Elle commence aussi à placer des mélodies pour d’autres (Barbara Pravi, Terrenoire, etc.). Puis, à un moment, il s’agit quand même de se jeter à l’eau, avant que le groupe refuge ne se transforme en planque confortable.  » Agua Roja s’est arrêté. On était de toutes façons à un carrefour. Clément, qui a mixé mon album, adore le studio. Benjamin, plutôt la scène -aujourd’hui, il est le guitariste de Clara Luciani et vit sa meilleure vie. Moi, j’avais envie de tout faire. Au début, cela n’a pas été évident, il a fallu trouver mon ton, où je voulais aller. Mais la vie est précisément là, dans ces moments inconfortables où vous sortez de votre zone de confort. »

D’où un premier album cocoon, mais qui n’est jamais anesthésié par sa mélancolie et sa nostalgie lancinante. Au passage, Nova s’est faite Ultra – » c’est mon évolution pokemon« -, super-héroïne qui a décidé de laisser son armure au vestiaire. Sur Over & Over & Over, par exemple, elle chante comme Adèle qui aurait squatté le premier album bricolo de CocoRosie.  » J’ai enregistré la voix chez moi, avec mon iPhone. J’aurais pu refaire une prise mais j’avais l’impression que j’aurais perdu quelque chose. Dans le fond, on entend d’ailleurs mon voisin qui est en train de faire des travaux à côté, occupé à défoncer un mur. Ce qui résonnait bien avec le fait que j’étais moi-même en chantier, dans un état de chamboulement intérieur… (sourire) Bref. Cela m’a conforté dans l’idée d’accueillir ces petits accidents: un oiseau, une voiture qui passe… » Les choses de la vie, somme toute…

November Ultra, Bedroom Walls, distribué par Hollywood Summer Records. Le 10/06 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

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