Nouvelle dimension

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Avec le Bruxellois Frédéric Penelle, la gravure sort de son cadre et s’invente une nouvelle vie.

À toutes fins utiles

Frédéric Penelle, MAAC, 26/28 rue des Chartreux, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 28/10.

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Constat d’évidence: À toutes fins utiles est l’exposition réjouissante du moment. Quand on est revenu de tous les conceptualismes, ce solo show rassérène l’oeil autant qu’il fait l’unanimité. Il est la conclusion en forme d’éjaculation visuelle de trois années de résidence à la Maison d’Art Actuel des Chartreux. Toutes les oeuvres présentées ont été spécialement conçues pour l’événement. Il n’est pas inintéressant d’évoquer la genèse du travail de Frédéric Penelle (né en 1973, lauréat de la Bourse COCOF), tant les conditions matérielles de production influent ici sur l’oeuvre. En 1999, l’intéressé sort de La Cambre-ENSAV avec un diplôme de l’atelier de gravure en poche. La chute hors du nid est brutale. Plus de presse, plus d’infrastructure: Penelle se demande comment continuer. Il se dirige alors vers la gravure sur bois, celle qui nécessite le moins de ressource -« Une cuillère suffit« , comme il le précise. Il fait alors le choix de partir de documents existants et figuratifs, soit l’exact opposé de ce qu’on lui avait enseigné à l’école. Fort de cette matière première, il pose un geste qui va lui ouvrir un univers: il décide d’isoler des éléments de son travail en découpant des figures à même le papier de ses gravures. Une pratique pour le moins iconoclaste. Après les avoir agrandies à la photocopieuse, il colle ensuite ces entités disparates sur les murs, faisant naître des télescopages inédits. L’approche lui vaut sa première exposition, en 2006, dans la galerie du Botanique. Après cinq années de transposition murale de ce type, Penelle croise Yannick Jacquet, vidéaste et membre du collectif AntiVJ. Cette rencontre marque le début d’une intense collaboration artistique qui va provoquer une véritable révolution copernicienne du travail de Penelle: sous le feu numérique, la gravure se met à bouillir.

Décorticage cérébral

L’accrochage de la MAAC est révélateur d’une pratique, la gravure, affranchie de ses limites traditionnelles. Dans la première salle, on découvre un corpus de réalisations signé par Frédéric Penelle seul. Grâce à un système de découpe laser sur bois, ses représentations se sont davantage autonomisées. L’approche flirte avec la sculpture, le déploiement inédit. Cette conquête spatiale s’effectue par le biais d’une iconographie récurrente absolument remarquable. Vue de loin, elle possède le charme suranné des vieilles iconographies: de près, c’est « bien dark« , selon l’expression de l’artiste. En effet, ça grince, ça suffoque, ça rampe, ça déforme… Il y a là toute une faune coincée entre Franz Kafka, Gustav Meyrink et Jérôme Bosch. Tout se mêle, chromos sortis des dicos médicaux, images de catalogues de mode, emprunts à l’Histoire de l’art, cela va dans tous les sens. Avec des temps forts, comme ce personnage appliqué recouvert par L’Isolator, un casque étrange, inventé en 1925, dont la finalité est de couper l’individu du monde pour le placer dans un état de concentration extrême. Le clou du spectacle -puisque clou du spectacle il y a- est à dénicher dans la grande salle à l’arrière de la MAAC. Cet endroit, aux volumes remarquables soulignés par une scène, accueille une inédite Mécaniques discursives, soit un nouvel épisode de la collaboration entre Penelle et Jacquet. L’oeuvre, qui n’a pas de titre mais pourrait bien s’appeler À toutes fins utiles, laisse pantois. Le mélange gravure et vidéo-mapping, impeccablement dressé dans l’espace, fonctionne à merveille, assure un relais passionnant au réel tout autant qu’il évoque le rétro-éclairage d’un imaginaire. Tout se passe comme si le duo mettait à jour le fonctionnement du cerveau. Une avancée décisive en matière de neurologie. Du moins, on veut le croire.

Www.maac.be

MICHEL VERLINDEN

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