LE RÉALISATEUR DE SHAME SIGNE UN BRÛLOT INTENSE PLONGEANT AU CoeUR DE LA RÉALITÉ COMPLEXE ET VIOLENTE DE L’ESCLAVAGE DANS LE SUD DES ETATS-UNIS AU XIXE SIÈCLE.

12 Years a Slave

DE STEVE MCQUEEN. AVEC CHIWETEL EJIOFOR, MICHAEL FASSBENDER, LUPITA NYONG’O. 2 H 14. DIST: BELGA.

8

Artiste polymorphe internationalement adoubé dans le domaine des arts visuels, Steve McQueen s’est imposé, en deux longs métrages à peine (Hunger en 2008, Shame en 2011), comme l’un des réalisateurs les plus singuliers du paysage cinématographique de son temps. Formaliste travaillé par la question de la représentation des corps, le Britannique a ainsi immédiatement développé un style fort et unique, tenant à une série de caractéristiques récurrentes à envisager comme autant d’obsessions auteuristes: sujets difficiles, propos percutant, forme viscérale et virtuose sous forte influence picturale…

12 Years a Slave, Oscar du Meilleur Film en mars dernier, ne déroge pas à la règle. Soit l’histoire vraie, édifiante, de Solomon Northup telle que relatée dans ses propres mémoires en 1853 -le cinéaste en parle comme d’un conte de fées dark ou, mieux, comme Le Journal d’Anne Frank de l’Amérique. Au début des années 1840, Northup est un homme libre, un « free negro » qui vit avec femme et enfants dans l’Etat de New York. Il gagne décemment sa croûte en tant que charpentier et violoniste quand il est enlevé, séquestré puis vendu comme esclave et envoyé par bateau à La Nouvelle-Orléans. Le début d’un véritable voyage au bout de l’enfer prenant pour cadre le décor cruellement édénique de plusieurs plantations sudistes où le fragile instinct de survie d’une poignée de femmes et d’hommes noirs au bord de l’épuisement est mis à mal par une violence de tous les instants, et par le lot insensé d’humiliations et de brimades dont ils font l’objet…

Si McQueen donne parfois le sentiment de chercher le malaise -Michael Fassbender en propriétaire de plantation dégénéré porté sur les amours ancillaires-, rien pourtant chez le cinéaste n’est jamais gratuit. Pas même le sens de la composition stupéfiant qui semble présider à chacun de ses plans. C’est que la puissance peu banale de 12 Years a Slave, film coup de poing dont on ressort littéralement K.O., doit beaucoup à la tension extrême qui le fonde, entre la beauté souveraine de la forme et la sauvagerie, la pure abomination de la matière traitée.

Proposé en versions DVD et Blu-ray, le film s’accompagne d’un long documentaire en forme d’éclairage historique qui brasse dense. Chiwetel Ejiofor, interprète admirable de cette odyssée déshumanisante aux étonnantes résonances contemporaines, y lit plusieurs passages du livre de Northup. Tandis que Steve McQueen, convoquant la mémoire de ses ancêtres esclaves dans les Caraïbes, revient en détail sur ses intentions et leur concrétisation, décortiquant notamment la scène-clé du film, ce plan-séquence hardcore de la jeune esclave fouettée, formellement construit comme une spirale vertigineuse qui emmène inexorablement le spectateur dans l’oeil du cyclone de l’insoutenable violence à l’oeuvre dans le film.

NICOLAS CLÉMENT

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