Noir soulèvement
Cinquante-deux ans après la naissance des Black Panthers, le feu couve toujours. À Lille, une expo renoue avec une énergie sortie du désespoir.
» Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte« , écrivait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. Paru en 1952, le recueil n’a rien perdu de sa puissance de feu. On le sait, Fanon, avec Malcolm X et Mao Zedong, a inspiré Huey Newton et Bobby Seale, les deux fondateurs du Black Panther Party for Self-Defense qui deviendra par la suite le Black Panther Party (BPP). À l’heure où la question du racisme est loin d’être liquidée, l’exposition de la Maison Folie Moulins attise cette solidarité. C’est une évidence: nul ne pourra jamais vivre en paix, du point de vue de la conscience morale s’entend, tant que perdurera une discrimination fondée sur la couleur de peau ou tout autre élément aussi arbitraire que le sexe, l’âge ou la très fantasmatique « normalité ». Dès 1966, Newton et Seale expriment leur programme en dix points gravés dans le marbre: liberté pour la communauté noire, droit de présider à son destin, éducation qui expose la vraie nature de la société américaine… Sans oublier la stipulation d’un » arrêt immédiat de la brutalité policière et des meurtres de Noirs« , qui résonne à travers les couloirs du temps. Cette forge déterminante dans l’avènement d’une conscience noire aux États-Unis possède son imagerie. On la doit à Stephen Shames (1947), photojournaliste qui a oeuvré sur les questions d’injustices sociales pendant plus de 50 ans.
Black is life
C’est lors d’une manifestation contre la guerre du Viêtnam que Shames, Blanc d’origine juive de 19 ans, rencontre Bobby Seale, son aîné de onze ans. Entre les deux hommes, le courant passe d’emblée. À tel point que le reporter devient pendant sept ans le compagnon de route du mouvement. Structuré en cinq sections, l’accrochage de la Maison Folie Moulins, qui est accessible gratuitement, documente les coulisses de la résistance. On comprend les rouages, on observe les luttes et on mesure les enjeux face aux dizaines d’images en noir et blanc. L’une d’entre elles retient tout spécifiquement l’attention, elle donne à voir deux jeunes hommes sur une statue de marbre blanc. Prise le 1er mai 1970, le cliché condense l’énergie du combat pour les droits civiques. Poing levé, un jeune garçon est assis sur la sculpture marmoréenne. La tension chromatique est à son comble: le noir est du côté du mouvement et de la vie, tandis que le blanc exhibe un regard vide, une fixité mortifère. Comme le disent les commissaires d’exposition François Cheval et Audrey Hoareau, c’est bien » une pensée en acte » qui s’offre au regardeur. » Stephen Shames cherche uniquement par les propriétés brutes des situations à célébrer la beauté du peuple noir, à exalter la dignité des autres communautés exclues du partage« , précisent-ils. Le résultat est galvanisant, prolongé par la projection de The Black Panthers: the Vanguard of Revolution (2015), un documentaire réalisé par Stanley Nelson Jr. retraçant l’Histoire du BPP. 115 minutes qui se dégustent comme du petit-lait contestataire sucré.
Power to the people
Stephen Shames, Maison Folie Moulins, 47-49 rue d’Arras, à Lille. Jusqu’au 06/01.
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www.maisonfolie.lille.fr
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