Fond de Cave – La réédition des quatre premiers albums de Nick Cave & The Bad Seeds témoigne des années de poudre et de souffre de l’australopithèque carnassier…
Distribué par EMI.
F rom Her To Eternity , premier album enregistré avec The Bad Seeds, débute par une reprise d’ Avalanche de Leonard Cohen. S’il était mort, Cohen défoncerait son mausolée en entendant cette hyperinterprétation tutoyant le grotesque. Le même charcutage maladif persiste sur Cabin Fever puis Well Of Misery avant la plage titulaire, qui nettoie tout cela au karcher dans un maelstrom de bruits borgnes. La guitare de Blixa Bargeld évoque un mauvais trip au chalumeau et la voix de Nick Cave est le larynx ruiné qui resterait, sur la plage, après un tsunami sonore. Teintes âcres, tapisseries poisseuses: ce disque a la grippe mexicaine avant tout le monde. Vingt-cinq ans après sa sortie – en juin 1984 – l’effet est encore – comment dire? – maléfique. Cave porte aussi loin qu’il le peut, son flot d’angoisses intimes, mélangées au trip permanent que la consommation d’héroïne provoque. C’est plutôt réussi: From Her To Eternity est un chef-d’£uvre maniaque de blues moderne qui conjugue les thèmes de la rédemption, des Saintes Ecritures, des démons internes et de l’énergie comme meilleure preuve d’expiation. C’est toujours la charpente existentielle de The Firstborn Is Dead , sorti en juin 1985. Globalement moins traumatisée que son prédécesseur, l’affaire est loin d’être paisible. L’ouverture, Tupelo, débute sur un orage monumental, qui symbolise la naissance de Presley face à son jumeau mort né. Cave a toujours voué un culte à Elvis, reprenant In The Ghetto (dans les bonus de From Her…) alors qu’il est encore synonyme de ringardise . Le son des Bad Seeds n’a rien cédé de sa volupté crue mais les harmonies vocales en ressortent plus soudées, le gospel s’insinuant dans Black Crow King comme un terreau sédimentaire, fertile. Le moment épique du disque reste néanmoins l’interprétation monumentale de Cave sur Wanted Man.
Eaux troubles
Une année plus tard, en août 1986, paraît Kicking Against The Pricks , un album de douze reprises ancrées dans l’americana, les alluvions du blues dessinant un testament mississippaire avant la lettre. Celui-ci débute sur un formidable mélodrame ( Muddy Water) et se conclut – étrangement – sur une cover mesurée des Seekers, groupe pop sixties australien. Entre les deux, Cave passe en revue ses fantasmes de toujours (John Lee Hooker, le Velvet, Johnny Cash…) et surprend en interprétant le lumineux Something’s Gotten Hold Of My Heart de Gene Pitney. Cette façon plus croonée de chanter est le liant de Your Funeral… My Trial , daté de novembre 1986. Il offre deux moments majeurs. Sad Waters, où la voix de Cave se dédouble en deux chants parallèles pour un effet troublant. Et puis The Carny, huit minutes éprouvantes, fascinantes, monstrueuses, où Cave récite sur une mélodie à la Nino Rota, une parabole de cirque humain, mix de Bible cruelle et du Freaks de Tod Browning. C’est dire si la métaphysique de ces années-là a l’haleine chargée. Les bonus de ces rééditions soignées sont un peu minces – quelques plages semi-inédites, une poi-gnée de clips parfois surprenants – mais on a le plaisir de découvrir pour chacun des quatre albums, un beau mix en 5.1. Poussée à fond, la totale Cave fera, à coup sûr, flipper les voisins et ramènera la police…
www.nickcaveandthebadseeds.com
Philippe Cornet
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