Né d’aucune femme

Depuis Grossir le ciel (2014), le Français Franck Bouysse explore le Mal avec un grand M sous toutes ses déclinaisons. Avec Né d’aucune femme, l’homme de 53 ans s’éloigne de ses prestigieux aînés (McCarthy, Faulkner…) pour une écriture fluide, limpide, poétique et personnelle en gardant intacte sa furieuse puissance narrative. En peu de mots, il est question ici d’un curé de campagne au coeur de la Corrèze du XIXe siècle. L’homme d’église se retrouve en possession du journal intime de Rose, une jeune fille de 14 ans vendue par son père à un notable du coin pour de la roupie de sansonnet. À travers ce roman choral de haute volée, monstrueux au propre comme au figuré, Franck Bouysse tisse son intrigue avec une insolente intelligence tant et si bien qu’on dévore Né d’aucune femme comme le plus haletant des polars. Plus que tout, en rendant justice à Rose -magnifique héroïne à la Croquette ( My Absolute Darling de Gabriel Tallent)-, il signe un subtil et aiguisé roman de femme. Bouysse, comme le tandem Jean Fauque/Alain Bashung de Fantaisie Militaire, malaxe la langue. Sculpteur de mots, il les taille, les cisèle, gomme toute aspérité pour ne garder que l’épure et la sécheresse chère à Simenon. À travers Rose, il rend aussi hommage à sa passion devenue métier, la jeune femme apaisant ses maux avec les mots en noircissant les pages de son journal et trouvant le salut à travers l’écriture. « Le coeur, dans le meilleur des cas », écrit l’auteur, « il parade les jours de fête, le temps du premier baiser; mais après, la disette s’étend, épouse, s’incruste sur les flancs malingres du destin, et il n’y a plus que le sang qui parle et se déverse. Un sang noir. » On n’aurait pas dit mieux.

de Franck Bouysse, Éditions La Manufacture de Livres, 334 pages.

9

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content