Des amateurs de ragots, on en connaît tous. Du voisin inquisiteur à l’épicier du coin en passant par la tante retraitée collée à sa fenêtre du matin au soir, les accros du cancan ont besoin de leur petite dose quotidienne d’infos croustillantes et ras du bitume pour aller de l’avant. Certains foyers sont particulièrement contaminés comme les entrées d’école, les coins fumeurs des entreprises, les salons de coiffure, bref tous ces lieux de transit où les mêmes personnes se retrouvent régulièrement. Et finissent par tomber l’armure des conventions et des précautions oratoires pour lâcher quelques crasses sur le dos d’une connaissance, d’un collègue, d’un enseignant. Ah, que ça fait du bien de s’essuyer les pieds sur le paillasson de celui qui a le tort de ne pas traîner dans les parages! C’est comme si on se purgeait du trop-plein de fiel, comme si on se délestait de sa cargaison de frustrations. Car il ne faut pas se mentir, les potins servent rarement à polir la réputation de quelqu’un. Leur niveau de toxicité est en général très élevé. Et si tout le monde n’est pas branché sur radio trottoir, nous sommes tous, à des degrés divers, des maillons de la chaîne du commérage. Qui ne s’est pas laissé aller au plaisir légèrement frelaté de médire sur un proche? Ne fût-ce que pour espérer en échange de savoir ce que la rumeur colporte sur son propre compte… Alors, le commérage, version low cost des rela-tions humaines? Pas sûr. Les neuro-sciences nous apprennent aujourd’hui qu’il  » participe au maintien de la cohésion du groupe à travers son influence sur la réputation des personnes« . Dixit Angela Sirigu, directrice de recherche en sciences cognitives à l’université de Lyon, dans Le Monde du 1er septembre. Cette  » activité prosociale » aurait des effets laxatifs. Comprenez: elle désamorce les débordements, les conduites déviantes en faisant baisser d’un cran la tension et les ranc£urs. Ce serait en somme le prix à payer pour garantir la paix sociale. On peut donc y voir une forme de punition altruiste. Ou un moindre mal. Plutôt que de nuire à l’objet de ses récriminations, on enfonce des aiguilles de mots dans la poupée virtuelle à son effigie.  » La réputation est en quelque sorte le capital social d’un individu, et le commérage une monnaie d’échange« , ajoute la chercheuse. Le médisance serait à la sociabilité ce que l’amortisseur est à la bagnole: il absorbe les coups, évite les dégâts plus importants. Sous des dehors futiles et superficiels se joue donc en réalité une scène importante de la vie en communauté. Une scène primitive si l’on en croit les anthropologues, qui assimilent le commérage à la forme raffinée du toilettage réciproque que pratiquent les… singes. C’est Marc Lavoine qui va être content! Quoi? C’est pas bien de dire ça? Bon d’accord, mais c’est pour éviter un passage à l’acte…

PAR LAURENT RAPHAËL

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