INSOMNIE ET MALADIE, CORPS ET AMOURS EN SURSIS, L’ANIMALÉ DE VINCENT LIBEN PARCOURT DES CHANSONS SUBLIMÉES PAR LE DÉSIR DE VIVRE. ET UNE MÉLANCOLIE QUI GROOVE AUSSI, TIENS.

Dans le beau clip naturaliste de Vert ébène, le garçon aux yeux revolvers plante le décor de l’album. Un matelas de neige, des forêts sans fin et la lumière hivernale qui lèche les arbres. Vincent y marche en casquette de moujik, juste pour ne pas geler. « Je voulais capter ce truc shamanique, un peu halluciné, du morceau où le thème de l’amour et celui de la mort se mélangent. » Métaphore frigorifiée de dizaines de nuits sans sommeil où ne subsiste plus qu’une activité monomaniaque: écrire des chansons. Résultat d’un corps qui cale. « C’est arrivé en septembre 2011, j’allais sortir l’album où il y a le duo avec Berry –Mademoiselle Liberté– qui tournait bien en radio, playlist de France Inter, Europe 1, RTL. Et là, je me suis senti très fatigué. On m’a diagnostiqué une hépatite C, que je portais depuis 20 ans suite à une transfusion sanguine: fallait me soigner, sinon c’était la cirrhose et puis le reste… »

Vincent est aspiré dans une année de traitements lourds, certains expérimentaux, soumis à une liste marathonienne de médicaments aux effets secondaires eux aussi « gigantesques ». Le jeune homme de ces dames, pop star de Mud Flow, change de carcasse, fond jusqu’à descendre à 60 kilos et se trouve incapable de défendre le disque nouvellement sorti. Qui d’ailleurs coule assez vite, « peut-être parce que c’était son destin ». Les drogues légales couchent Vincent à la maison, insomniaque mais pas seulement: « Le virus est parti assez vite mais il a fallu continuer les médocs pendant des mois, je ne mangeais plus et la présence des autres, à certains moments, n’était juste plus possible. Même l’idée d’un contact frôlé dans une file de magasin pouvait s’avérer insupportable. Cela pesait aussi sur les relations amoureuses, notamment parce que cela plombe l’autre. Je me suis mis à écrire, avec l’idée de la mort en tête mais également avec des questions sur le sens de ma musique, de ma présence. Avais-je envie de parader sur les plateaux de télé, de faire le beau gosse? La réponse était non. Que cela marche, oui, mais pas à n’importe quel prix. » Son label parisien, Play On, qui engrange les devises avec le succès commercial de Zaz, a bien envie de « marclavoiniser » Vincent: cela ne se fera pas. Les mêmes refusent d’ailleurs les maquettes écrites pendant ce purgatoire maladif où les textes défient l’absence d’énergie, où l' »expérience« borderline creuse d’autres fondations musicales. La vieillealchimie de la douleur comme neurone créatif? Ben oui.

Vincent -quadra fin 2015- a le profil multi-couches. Quatre disques sous le rock fluide de Mud Flow, dont A Life On Standby qui se vend à 15 000 copies en 2004, carrière qu’il reprend épisodiquement ces temps-ci via quelques concerts menés jusqu’à l’été. Et puis il y a l’échappée solo en langue française débutée par Tout va disparaître fin 2008. La saga est connue: pour cause de conflit avec la co-interprète féminine originale, l’album est réenregistré dans la foulée avec une tierce, puis connaît une troisième version « française » avec six originaux et six titres-rajouts sous patronage parisien. Vincent considère donc le nouvel Animalé comme sa deuxième ponte. On dirait bien que les dix chansons tiennent de l’absolu au sens où elles ne font pas de prisonniers. « C’est mon disque Daech »,rigole l’intéressé, quasi-requinqué après une récente intervention pour cause d’hernie inguinale menaçant de faire péter la tuyauterie digestive.

Chopin et Lisza

En attendant que Liben défie le choléra ou la scarlatine, on parle de la profondeur du disque. Pas de ses soubassements textuels mais des territoires instrumentaux qui amènent la gravité et le charme nécessaires. Loin de la variété TF1 ou de la médiocrité nécrosée d’une large partie de la chanson française. Vincent, qui trouve les concours à la The Voice, « indécents », a voulu fouiner, explorer, construire. Formé à la guitare classique et étudiant toujours l’harmonie à l’Académie du coin, le Bruxellois au regard kazakh est conscient du chemin instrumental parcouru: « Dans ce temps de maladie, j’ai eu tout le loisir d’écouter les musiques folk du monde -d’où ce sampling de groupe bulgare sur La Rivière– mais aussi pour arriver à une plus grande maîtrise des arrangements. Tout est écrit sur des partoches. » Le labeur porte: en six jours d’enregistrement autoproduit aux studios ICP d’Ixelles -avec le support financier de son éditeur Team 4 Action-, entouré de musiciens-comparses, Liben boucle quatorze titres. Il en élimine quatre dont deux « singles radio potentiels parce qu’ils ne cadraient pas avec les autres chansons ». Moins auto-sabordage que recherche de globalité harmonieuse. « J’aime Chopin et je suis romantique: quand je parle d’amour, je veux exploiter un côté plus sombre. » Sur ce, au rez-de-chaussée de sa maison schaerbeekoise, entre une accorte jeune fille aux pupilles océanes: Lisza, 27 ans, non seulement duettise avec son Vincent sur L’ennui qui porte mal son titre, mais partage avec lui un autre projet musical sous son patronyme à elle. Liben revenu de la mort pour l’amour: les vieilles histoires sont les meilleures.

RENCONTRE ET PHOTO Philippe Cornet

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