POUR SON SECOND LONG MÉTRAGE, MIKE MILLS SE LIVRE À UNE INTROSPECTION INTIME QU’IL AMÈNE SUR LE TERRAIN FÉCOND DE LA FICTION, FAISANT JOLIMENT RIMER LES ÉPOQUES ET DRESSANT UNE CARTE SENSIBLE DES RELATIONS ET DES SENTIMENTS…

Il y a, chez l’artiste polyvalent Mike Mills, un côté touche-à-tout de génie. Pour situer, on verrait bien en lui le parent tout désigné d’un Michel Gondry ou d’un Spike Jonze. Le genre à s’être frotté avec un même bonheur au graphisme et au clip, ce qui lui a valu notamment de concevoir des pochettes pour Sonic Youth ou les Beastie Boys, et de diriger des vidéos pour Pulp, Air ou le Jon Spencer Blues Explosion. Le genre, encore, à s’être essayé avec une égale réussite au cinéma. Sorti en 2005, son Thumbsucker (Age difficile obscur, dans sa traduction française) déclinait la quête d’identité d’un adolescent en mode singulier, tout en trouvant les accents d’une mélancolie diffuse -qualité qui irrigue encore Beginners, un second long métrage en forme d’introspection intime.

Mills y met en scène Oliver, un illustrateur approchant la quarantaine, que la mort de son père, à l’âge de 75 ans, et quelques années à peine après avoir fait son coming-out, amène à s’interroger sur les relations familiales et sentimentales. Une situation ouvertement inspirée de son vécu, mais qu’il va décliner sous les auspices féconds de la fiction, pour donner à son film une résonance universelle -le titre renvoie d’ailleurs à l’idée qu’en matière de relations humaines, nous sommes tous des débutants. « J’ai pensé à tourner ce film alors que mon père était encore en vie, mais savait qu’il allait bientôt mourir, explique-t-il, chaleureux, alors qu’on le retrouve à Paris, dans les bureaux de son distributeur. Sa vie, son mariage, sa sexualité m’ont paru intéressants, de par leur dimension historique et la façon dont sa vie intime avait été conditionnée par son époque. J’ai été fasciné par l’intersection du personnel et du politique, mais aussi par le fait qu’il s’agisse de mon propre père. S’y est ajouté le fait qu’une fois son coming out effectué, il s’est révélé plus vivant et accessible que jamais. Nous avons eu d’innombrables conversations sur l’amour et les relations humaines. Et j’ai voulu en faire quelque chose.  »

Des fifties au XXIe siècle

Mike Mills laissera au projet le temps de mûrir, accumulant les idées et les souvenirs, avant que l’ensemble ne prenne une forme où la différence entre réalité et fiction se trouve idéalement floutée, l’une et l’autre se nourrissant réciproquement tandis que le film ajoute au portrait subjectif du père, l’histoire naissante venue rapprocher Oliver de Anna. C’est dans cette double articulation que Beginners trouve une part de sa force, faisant habilement rimer les époques sur le fil distendu menant de l’Amérique des fifties à celle du XXIe siècle. Rime qui prend ici les contours de 2 histoires: celle d’un père confronté à la pression extérieure du conservatisme et de l’homophobie, et celle d’un fils sujette aux obstacles intérieurs. Et Mills d’évoquer Marx et Freud, l’héritage de l’Histoire et des histoires (familiales), avant de s’aventurer sur la ligne du temps: « Par rapport à l’époque de mes parents, la société américaine a énormément changé, si l’on considère par exemple ce que nous pouvons dire sur le sexe et les émotions qui y sont liées. Mais par d’autres aspects, ce n’est pas tellement différent: les gens sont toujours timorés, et l’intimité fait sortir des parts de nous que nous ne comprenons pas. J’ai le sentiment que l’homosexualité est encore redoutée par beaucoup de gens, hétérosexuels ou gays, d’ailleurs. « 

S’agissant de ses parents, mariés en 1955 en connaissance de cause -l’époque est aussi à l’émergence d’un activisme gay, rappelle-t-il volontiers, et Ginsberg écrit son Howl à 2 pas de chez eux-, Mike Mills ajoute encore: « Mes parents ont, en quelque sorte, intériorisé la pression. Ils voulaient rejoindre l’histoire mainstream d’un couple hétérosexuel. Pour mon père, cacher sa sexualité sous le masque d’un mariage classique était acceptable, et même nécessaire. Il y avait beaucoup de bonnes raisons de ne pas être homosexuel à l’époque. Et mes parents s’aimaient par bien des aspects. Toute histoire se construit en excluant des choses. Pour mes parents, et mon père en particulier, il s’agissait d’exclure une partie de lui-même. Lors de son coming out, il l’a réintégrée, ce qui l’a rendu plus électrique que jamais. »

Le volet contemporain du récit, le cinéaste l’a situé en 2003, soit en léger décrochage dans le passé. Une façon de l’ancrer quelque peu dans l’Histoire, explique-t-il. L’interroge-t-on sur la part de lui-même qui anime Oliver qu’il assure: « Son histoire est beaucoup plus de l’ordre de la fiction normale. Il y a là des choses qui me sont familières, mais ce n’est pas plus l’histoire de ma femme (la réalisatrice Miranda July, auteur de… Moi, toi et tous les autres, Caméra d’or à Cannes en 2005, ndlr) et moi qu’une histoire que j’aurais vécue avec qui que ce soit d’autre.  » Pour autant, il s’en dégage -et c’est là aussi que Beginners puise une part de sa force- un séduisant parfum d’authenticité. Accentuée, sans doute, par l’évidente connivence qui a lié le réalisateur à son interprète, Ewan McGregor: « Curieusement, Ewan et moi avons beaucoup en commun. Nous rions des mêmes choses, par exemple. Je lui ai montréThe Perfect Human , de Jorgen Leth, un film qui me correspond vraiment, et il adoré. Avec Ewan, tout a été très simple: bien souvent, quand je lui demandais ce que lui dicterait son instinct dans une situation, ce n’était guère éloigné du mien. »

Difficile, face à une £uvre aussi personnelle, d’éviter le sujet de ses éventuelles vertus thérapeutiques. « Je consulte un psy par ailleurs, ce n’est pas comme si j’avais révélé mon inconscient, s’amuse Mike Mills. J’étais absolument conscient de ce que j’écrivais. Je ne sais pas si c’est à cause du film, ou de l’âge, mais ma relation avec mon père a changé. Mon père est mort quand j’avais 38 ans, j’en ai aujourd’hui 45, et ce sont vraiment des années pendant lesquelles la relation que l’on a avec ses parents évolue, qu’ils soient vivants ou morts. Je suis désormais beaucoup plus à l’aise avec mes parents. Ecrire du point de vue de son père est une expérience intéressante. On n’est plus le fils, on partage les désirs, les peurs, les objectifs et les besoins de son père. Peut-être tout le monde devrait-il en faire autant, et qu’il y a là des vertus thérapeutiques, en effet. « 

Dehors, dans le monde

A quoi il ajoute une autre considération, certes point négligeable. « Comme cinéaste, je me suis amélioré, je suis devenu plus à l’aise avec le fait d’être moi-même. Mes différents champs d’activité s’assemblent mieux que jamais auparavant », relève encore ce disciple de Hans Haacke, dont il a suivi les enseignements à Cooper Union, à New York, dans les années 80: « J’appartiens à une génération qui, à son écoute, a critiqué l’art institutionnalisé, et a voulu s’exprimer dans la sphère publique. Voilà comment je suis devenu graphiste. Réaliser des films est, pour moi, la continuation d’un même projet. J’aime l’art, et je continue à en faire. J’ai grandi dans les musées, mon père en dirigeant un, mais je n’y crois pas totalement. Je veux m’adresser à un public plus large, et m’inscrire dans une discussion plus vaste. Quand je fais une pochette pour les Beastie Boys, et qu’on en tire un poster, ça me plaît de me retrouver sur Broadway, par exemple. Et pour moi, il y a une connexion avec le fait de voir mon film projeté au MK2 Bibliothèque, ici à Paris. On est dehors, dans le monde…  »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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