BLUES ET BD FONT BON MÉNAGE. EN PARTICULIER SOUS LES DOIGTS DE MEZZO ET DUPONT, DONT LA BIO DE ROBERT JOHNSON EST UNE PETITE MERVEILLE GRAPHIQUE.

Love in Vain

DE MEZZO ET JEAN-MICHEL DUPONT, ÉDITIONS GLÉNAT, 72 PAGES.

9

Blue Note (t. 2)

DE MATHIEU MARIOLLE ET MIKAËL BOURGOUIN, ÉDITIONS DARGAUD, 72 PAGES.

6

Avec sa mélancolie, sa sensualité, ses accointances sulfureuses, ses clochards dandy et son climat racial explosif, le blues -comme son enfant légitime le jazz- est une source d’inspiration inépuisable. Le cinéma et la bande dessinée s’y abreuvent d’ailleurs régulièrement. En 2006, le père du comics underground américain Robert Crumb rendait ainsi un hommage passionné aux héros, souvent méconnus, de la Sainte Trinité blues-jazz-country. Comme lui, Frantz Duchazeau a également trempé son âme dans les eaux troubles du Mississippi, Le Rêve de Meteor Slim, Lomax ou Blackface Banjo déterrant quelques trésors oubliés au fil d’une démarche quasi documentaire arrosée d’une bonne rasade de poésie. Et on pourrait encore citer Blutch qui déclarait sa flamme musicale dans un Total jazz convoquant avec humour la crème du genre.

Deux nouveaux titres s’ajoutent aujourd’hui à la (play)liste. Dont un qui fera date: Love in Vain, de l’orfèvre graphique Mezzo (Le Roi des mouches) sur un scénario aux petits oignons de Jean-Michel Dupont. Les deux compères y retracent la trajectoire éclair de la légende Robert Johnson, dont le mythe façonné au creux des années 30 se nourrit autant des faits d’armes avérés (29 chansons, maintes fois reprises par les plus grands, de Clapton à Led Zep) que des nombreuses zones d’ombre dans une bio qui ressemble à un gruyère (il ne reste par exemple que deux photos du bluesman). Avantage: chacun est libre de fantasmer le personnage. Mezzo et Dupont ont choisi de confier à un narrateur, dont l’identité ne sera révélée qu’au terme du voyage, le soin d’évoquer les temps forts d’une vie brûlée par les deux bouts: enfance malheureuse et nomade sur fond de racisme ordinaire, découverte précoce de la guitare et des plaisirs charnels, mariage heureux sapé par un décès en couches, pacte avec le diable à un carrefour, initiation auprès de quelques solides mentors comme Johnny Shines, début du succès, à peine consommé puisque le prodige toujours tiré à quatre épingles sera empoisonné à seulement 27 ans dans un de ces Jook Houses où musique et alcool font tourner les têtes.

Jazz station

Ce ne serait qu’un biopic -certes bien troussé- de plus s’il n’y avait pour emballer le tout le dessin magnétique de Mezzo. Ses planches semblent arrachées aux ténèbres, Johnson se mouvant dans un théâtre d’ombres sculptées au rasoir. Cet écrin tapissé de gravité et de mélancolie convient parfaitement au blues. Mezzo aurait-il lui aussi vendu son âme au Malin pour atteindre une telle perfection? Le format 16/9 de ce missel délicatement toilé accentue encore l’impression cinématographique, les plans larges sublimant les scènes urbaines tumultueuses comme les moments de désespoir et de solitude. Un hommage poignant qui fait vibrer longuement la corde sensible.

En comparaison, le second tome du diptyque Blue Note semble nettement moins habité. Collant à l’étui d’un jeune guitariste ambitieux -un certain RJ, tiens, tiens…- aux dernières heures de la prohibition, ce récit initiatique soigné et rythmé ne parvient que rarement à émouvoir. Le reste du temps, les auteurs enfilent les clichés, ceux du blues comme ceux du thriller noir qui est la seconde peau de cette révérence trop appuyée. Rien de honteux toutefois, juste la démonstration par l’autre duo qu’on peut faire (nettement) mieux avec moins. Ce qui est au fond aussi la définition du blues…

LAURENT RAPHAËL

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