Mini, mini, mini

"J'ai certains 45 Tours en plusieurs exemplaires. Parce que l'artwork est différent. Mais aussi parfois parce que je pense qu'ils sont perdus alors qu'ils sont mal rangés. Il y en a dont j'ai égaré la pochette en mixant et d'autres que j'ai cassés en étant un peu trop brutal." (Dop Massacre)

Incubateur de talents grâce à des labels comme Speedy Wunderground, le 45 tours reste avant tout une affaire de DJ et de collectionneurs. Zoom sur un support anachronique qui traverse le temps.

Tête chercheuse du nouveau rock anglais, c’est l’un des labels les plus passionnants du moment. On lui doit la première sortie officielle de Black Midi. La découverte de Squid, de Black Country New Road ou encore de Sinead O’Brien… Créé par le producteur Dan Carey, Speedy Wunderground s’est construit sur le format 45 tours, guidé par la volonté de capturer la musique la plus fraîche possible. L’idée est d’enregistrer des singles en une journée, de les mixer le lendemain et de les sortir rapidement à 250 exemplaires seulement. Jack White aussi s’est pas mal amusé avec le support depuis une dizaine d’années. L’artisan et businessman a enregistré, pressé et vendu un 45 tours en quatre heures pour le Record Store Day et sorti des disques dont il fallait découper l’emballage. Il a interviewé la strip-teaseuse et star du burlesque de 84 ans Tempest Storm, gratifiant l’objet d’une carte qui permettait de la voir danser à l’aide d’un verre et d’une lampe de poche. Pour son single Freedom at 21, l’ancien White Stripes alla même jusqu’à attacher des flexis (des disques souples) à des ballons et à faire tomber les 45 du ciel. Des initiatives certes inutiles, mais qui eurent le don de remettre le format à l’honneur.

« C’est le premier support sur lequel j’ai le souvenir d’avoir écouté de la musique, explique Dop Massacre, alias DJ Saucisse, barman dans Dikkenek et vendeur à la FNAC. Un de mes oncles avait un de ces tourne-disques qui empilaient les 45 tours les uns sur les autres. C’est aussi le premier truc que j’ai acheté quand j’étais gamin début des seventies. Avec mon argent de poche, je pouvais m’offrir ces disques qui coûtaient 70 ou 80 francs belges à l’époque. Je n’avais pas le pognon, environ 335 balles, pour acheter un album de Bowie mais je pouvais me permettre le single Rebel Rebel . »

Aujourd’hui, contrairement à ce qui se passe en Angleterre, le format se fait chez nous relativement rare dans les magasins de disques traditionnels. « Le peu d’exemplaires qu’on vend, c’est quand un méga truc sort, poursuit Dop Massacre. Si tout à coup, on te balance tous les mois un 45 tours de Bowie en picture disc, tu as un public que ça va intéresser. Par contre, un Miles Kane, tu n’auras qu’un pote et moi qui allons l’acheter. Nous n’en proposons quasiment plus que sur commande client. Je sais que sinon on va sans doute garder le disque sur les bras et le solder dans un an. »

Les 45 tours ont fait leur deuil du grand public avec l’avènement du CD fin des années 80. « Mais si les groupes de tubes, ceux du top 50, ont arrêté d’en sortir, des petits, obscurs, ont continué d’en presser. Je pense au milieu garage. Avec sans doute derrière cette idée de perpétuer une certaine culture. » Se pose alors dans leur cas la question de l’accessibilité. « Il y en a plein que je ne parviens même pas à commander sur mon service import. Là, j’ai repéré qu’un 45 tours de l’acteur de cinéma français Jean-Pierre Kalfon datant de 1970 avait été réédité. Je suis allé dans plusieurs magasins et je n’arrive pas à mettre la main dessus. L’original, t’en as pour 120 boules. Mais les rééditions, c’est entre 13 et 15 euros. »

« Nous, on appelle ça le format du chômeur, rigole Stan du magasin Veals & Geeks, au centre de Bruxelles. Parce qu’il t’en faut du temps libre pour écouter des 45 tours et changer de disque toutes les trois minutes. C’est pratique pour mixer (pas besoin de chercher les morceaux, d’utiliser un casque, NDLR) mais ça reste quand même un support chiant. Sur certaines nouvelles platines, il faut même changer manuellement la courroie. Le format est aussi assez pénible pour les vendeurs. Vu sa petite taille, il se vole très facilement. »

Fétichisme

Réapparu de manière notable sur les tables de merchandising à la sortie des concerts, le 45 tours reste avant tout un format de DJ et de collectionneurs. « On en a pas mal, explique Luc Dembour, co-animateur du magasin de seconde main Hors-Série. Il se fait qu’au fil du temps, ça s’accumule. On a un bac qui tourne gentiment. Disons que j’en remets une centaine tous les deux ou trois mois. Il y a une demande, oui, mais c’est une niche un peu à part. Ce qui intéresse nos clients, ce sont surtout les années 60 psychédéliques et la période punk-débuts new wave. Dans le punk, beaucoup de morceaux ne sont sortis qu’en 45 tours. Peu de groupes ont eu les honneurs de l’album. Donc, si tu veux te faire ta collection, tu es obligé de passer par-là. »

Il y a aussi ceux qui achètent des 45 pour des raisons esthétiques. Parce qu’on y voit une bagnole, une moto, un chat ou une femme à poil… S’il correspond à la consommation moderne de la musique (entendez au titre plus qu’à l’album), le format parle peu aux ados… « Il est délaissé, affirme Luc Dembour. Les jeunes s’y intéressent très peu. Il n’y a quasiment pas de repressage d’ailleurs. Ils sont donc souvent rares et coûtent relativement cher. On a vendu un 13th Floor Elevators à 800 euros il n’y a pas très longtemps. On en propose à 1 euro mais tu grimpes vite à 50 balles. » « Tu as des gens qui complètent leur collection par groupe, par label, embraie Stan. On a aussi pas mal de clients qui veulent du 45 tours pour remplir leur juke-box. Mais comme ça fout en l’air les disques, ils n’investissent pas grand-chose. Les mecs qui vont mettre 500 balles pour un 45, ce sont les DJ en quête de raretés. Tu as de tout. Punk, reggae, vieille soul, boogaloo… Mais un client sur mille nous achète du 45 tours. Tu peux le retourner comme tu veux, c’est du fétichisme. »

« Avec Rockerill Records, on a voulu remettre le format du 45 tours à l’honneur. Je me disais qu’on pouvait créer une machine à hits. » (Barako Bahamas)

Révélateur de l’offre et de la demande, le marché en ligne Discogs, devenu une sorte d’argus, a fait grimper la cote des disques ou à tout le moins rendu les bonnes affaires compliquées. « Je déteste Discogs, réagit Dop Massacre. C’est contre mon boulot et ma religion. Puis, d’accord, tu vois des trucs mis en vente à 90 euros mais ils doivent encore trouver celui qui va les débourser. J’ai acheté des disques pour que dalle qui maintenant valent 250 voire 500 balles. Perso, je suis toujours très content quand je vois des rééditions à prix raisonnable. »

Loin des 7 000 45 Tours (et le reste) du Dop, Nicolas, fan de musique louviérois, compte entre 500 et 600 petits formats dans sa collection. Il n’est pas non plus du genre à casser sa tirelire. « Au début, je ne voulais mixer qu’avec ça mais tu es vraiment limité. Je ne suis pas un collectionneur acharné. Je ne veux pas de pressage original. Je ne suis pas en quête de l’édition rare. J’achète quand je trouve. Quand j’aime vraiment un groupe, je veux toutes ses chansons en physique. Et sur les 45 tours, tu as quand même souvent une Face B inédite. Je les achète souvent aux concerts. Tu n’en trouves pas beaucoup dans les magasins de nouveautés. Et quand c’est le cas, tu es vite à dix euros. Tu as un rayon chez MediaMarkt mais ça fait deux ans qu’il n’a plus bougé… »

À ses yeux, il y a aussi dans son geste le soutien aux petits groupes. « J’ai acheté les Scrap Dealers par exemple. J’essaie de donner un coup de pouce à la scène locale. Même si je sais que c’est pas avec mes huit balles qu’ils vont sauver leur vie. » Le format amène une autre écoute, plus attentive, de la musique. « T’es obligé d’écouter le morceau. Parce que trois minutes après, tu dois déjà retourner le disque ou en mettre un autre. Et tu sais pas faire grand-chose en trois minutes à part te rouler un joint… »

Du côté de Liège, La Planète des singles (joli jeu de mot) est un concept de soirées mixées entièrement sur 45. « En utilisant ce support, tu te passes d’office de beaucoup de trucs à la mode, explique Laurent Boutefeu l’un de ses quatre DJ. On doit se débrouiller avec ce qu’on a mais on se fait plaisir en voyageant dans les périodes et les styles avec des morceaux qui ont souvent traversé l’épreuve du temps. Discogs est plus cher et moins drôle que la brocante et les magasins, mais c’est hyper pratique pour trouver des disques. Pour les nouvelles générations, le 45 tours est quelque chose de bizarre. Spotify a tout changé. Mais moi, j’ai déjà du mal devant 3 000 MP3. « 

Objet promotionnel

Le 45 tours, le Carolo Michael Sacchi adore ça. Il le mixe sous le nom de Barako Bahamas, en sort volontiers sur son label Rockerill Records et en a fait le format privilégié de son groupe Spagguetta Orghasmmond. « Pour moi, le 45 tours, c’est avant tout un objet. Le premier vinyle dont j’ai le souvenir, c’est La Bonne du curé d’Annie Cordy. Puis, il y a eu les Rubettes, les Rolling Stones. À l’époque, on s’offrait un 45 tours pour nos anniversaires et on le gardait précieusement dans une farde en plastique. C’était pas cher et, même si c’est lourd à transporter, c’était avec ça que tout le monde mixait. »

Mika Hell a aussi un faible pour son côté régional, son empreinte populaire. « À Charleroi, dans le temps, tu avais des dizaines de maisons d’édition. Les gamins enregistraient leur disque qu’ils pressaient en cinq exemplaires pour leur grand-mère, leur mononcle et leur matante… J’affectionne cet aspect local. L’idée de laisser une trace. Ces micro-labels s’appelaient du nom de la rue ou du quartier. »

Avec Rockerill Records, le quinquagénaire a voulu remettre le format à l’honneur. « Produire un 45 tours, ça coûte 700 ou 800 balles pour 300 exemplaires. Mais ce n’est pas l’aspect financier qui m’intéresse. Je préfère sortir dix 45 tours de dix groupes différents que deux ou trois 33. J’aime l’idée de faire plaisir. Un 45 tours, c’est une espèce de tremplin. Pour sortir un album, il faut déjà avoir bien avancé. Mais un single, tu peux en sortir un super après trois mois d’existence. The Cure, Simple Minds balançaient tous deux ou trois 45 tours avant un album. Maintenant, tu débarques souvent avec un 33 et tu n’as qu’un bon morceau dessus. Il y a eu un tas de groupes météores. Et pas que dans le punk. Tu peux avoir une idée super, un morceau terrible. Ça ne veut pas dire que tu es un génie pour autant. »

Mika laisse aux groupes un an pour se trouver une super pochette et deux morceaux qui déchirent. « Si les groupes n’existent plus l’année d’après, tant pis. Ils laissent leur petite marque sur la planète et dans l’Histoire de la musique. On en a sorti une vingtaine mais on s’est tenus à nos amitiés avec les artistes qui, à un moment, ont eu des envies d’album. Avec Spagguetta, comme on part un peu dans tous les sens, on continue de privilégier le format. Mais le 45 tours est difficile à placer en magasin. Faut pas compter dessus pour gagner du fric. C’est juste un objet promotionnel. »

Mini, mini, mini
© GETTY IMAGES

Il était une fois le 45 tours…

Le 10 janvier 1949, RCA records commercialise les premiers disques tournant à 45 tours par minute pour relancer et développer le marché des juke-box (d’où le gros trou au milieu des disques). Le grand public ne dispose pas encore à l’époque de l’équipement nécessaire pour les écouter mais avec l’accession au marché d’une jeune génération qui a plus de fric à dépenser que les précédentes (pas trop quand même), les ventes de singles s’emballent au milieu des fifties et contribuent à faire du rock’n’roll un mouvement de masse.

« Fabrication facile et bon marché… Le 45 tours incarne à sa manière le rêve américain, lit-on dans le Dictionnaire du rock de Michka Assayas. Pour un investissement minimum, chacun peut espérer gloire et fortune. » Des dizaines de milliers de titres sortent mais beaucoup, depuis devenus mythiques, passent alors inaperçus. 90% des morceaux qui ont fait l’Histoire du rock n’ont été disponibles que sous la forme de 45 tours avant d’apparaître sur des compilations. Parallèlement au single se développe dans les pays où les jeunes ne peuvent pas se payer un album ce qu’on appellera en France le super 45 tours. Pochette cartonnée, deux titres par face. Il devient carrément la règle dans l’hexagone…

Et son look dans tout ça? D’abord présenté dans une simple pochette en papier évidée laissant apparaître son rond central, le 45 tours commence à bénéficier aux États-Unis de pochettes personnalisées. Une présentation qui deviendra systématique en Europe continentale à défaut de s’imposer en Angleterre avant la fin des années 70.

Dès 1968, le single dans le rock décline. La musique progressive et le heavy metal ne prennent toute leur ampleur que sur la longueur d’un album. Le 45 tours devient avant tout le support de la pop, il sert à attirer l’attention sur le LP dont il est tiré, mais continue d’accompagner la musique noire. Pistols, Clash, Jam, Damned… Le punk ramène le format sur le devant de la scène. Avec l’essor des labels indépendants, il devient une espèce de tract.

Conçu à l’origine pour les discothèques, le maxi 45 tours (12 inch, douze pouces) apparaît avec le disco. Il permet de proposer des versions allongées. Des titres de dance remixés et agrémentés d’effets divers. Dans les années 80, le rock capitalise. Vinyle coloré, pochette ouvrante, box sets, picture discs… Le 45 tours devient l’occasion de plumer les fans inconditionnels en les poussant à acheter plusieurs fois le même disque. L’avènement du clip et du CD aura raison de lui. Ou presque…

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