Mes fous

Sandor, la petite cinquantaine, ne peut sortir de chez lui sans rencontrer de nouveaux ultrasensibles: Dédé le fou météo, Karim le fou politique, la dame tout en rose… Tous le reconnaissent et viennent vers lui. Éphémères arpenteurs de trottoirs ou bourlingeurs de bistrots, tous ces corps perdus réclament leur part d’attention. Se mettant facilement dans la peau des autres, Sandor les accueille le temps d’un palabre, parce que l’indifférence lui est impossible, que les façons de tenir le coup sont précaires. La peur du monde, la relation à l’autre, le désir de reconnaissance, « on est démuni pour parler de l’essentiel ». Entre un père mélancolique qui en a assez et veut se laisser partir, la schizophrénie de sa fille Constance, le syndrome d’Asperger de son fils Adrien, la rupture avec Ysé: « ça se barre de tous les côtés ». Lui trouvant « un drôle d’état », son médecin lui prescrit un arrêt maladie. « Arrêtez, ce mot m’a plu. Ma vie jusqu’à présent a passé comme un tourbillon. » C’est pas un burn out au moins?, s’inquiète son DRH. « Qui est le plus fou? Celui qui pense à la mort chaque jour ou celui qui est possédé par le langage de l’entreprise? » Auteur d’essais sur Orwell et Queneau mais aussi biographe d’Henri Michaux, Jean-Pierre Martin file un aphorisme du poète: « Ne désespérez jamais; faites infuser davantage ». Débusquant la folie ordinaire dans tous ses accoutrements -une parole exagérément volubile, l’hystérie d’un geste, les sourires postiches-, Jean-Pierre Martin signe une ballade désespérée d’une rare délicatesse face aux ténèbres des ultrasensibles, tous ces autres qui nous ressemblent.

De Jean-Pierre Martin, Éditions de l’Olivier, 160 pages.

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