IL FUT UN TEMPS OÙ LA MUSIQUE CLASSIQUE ÉTAIT DITE SÉRIEUSE. ET L’ÉLECTRONIQUE, RÉSERVÉE AUX ANALPHABÈTES DE LA PARTITION. AVEC D’AUTRES, ANNA MEREDITH OEUVRE AUJOURD’HUI À RÉCONCILIER CES DEUX UNIVERS.

Voilà bien le genre de disque qui force à oublier tout ce qu’on pensait connaître de la musique électronique. Sur Varmints, le premier album de l’Anglaise Anna Meredith, l’idée de la boucle qui fait bouger est en effet perceptible, mais elle semble dessinée par de « vrais » instruments persuadés d’être des machines.

« Ce qui m’a le plus étonnée, c’est d’entendre les gens se focaliser sur les questions de genre. « Oh, vous avez écrit un morceau pop! », « Oh, ça, c’est un peu techno… » Mais je vois les choses différemment. Pour moi, le langage est très similaire tout au long des plages de l’album. J’utilise les mêmes harmonies, les mêmes rythmes, alors que les morceaux peuvent sembler très différents. A quelqu’un qui me découvre, je dirais donc de ne pas penser en termes de genres, de ne pas chercher trop de références. Juste d’avoir l’esprit ouvert et de se laisser aller au voyage. »

Si Varmints sonne « autrement », c’est peut-être parce que son auteure vient de la musique classique. Diplômée du Royal College of Music à Londres, un temps compositrice attitrée du BBC Scottish Symphony Orchestra, elle a décroché en 2010 le Paul Hamlyn Foundation Award for Composers. Elle acquiesce… « Si je suis différente, c’est peut-être aussi parce que je n’écoute pas tellement de musique. Je ne fouille pas à la recherche de nouveautés: quand on écrit, j’estime que ça distrait trop. Alors oui, être différente, c’est pas mal, mais ce n’était pas non plus mon but premier. En fait, j’ai juste développé ma propre aisance dans l’approche de l’écriture. Je sais quoi faire avec la matière première, comment traiter les rythmes. »

Anna Meredith n’est pas de ces artistes qui comptent sur les heureux accidents, les hasards du travail, le processus d’essai/erreur cher à certains. Elle se dit « control freak » avec un petit rire. Mais surtout, elle fonctionne en termes de construction, d’assemblage de blocs musicaux. « Quand j’écris, ce qui m’importe, c’est de maîtriser l’allure, le rythme. Que je travaille pour moi, pour un orchestre ou pour des enfants, je commence toujours par prendre une feuille de papier vierge, et j’y dessine une ligne du temps sur laquelle je porte des graphiques relatifs à l’énergie, au « flow ». De sorte que le voyage, au fil de l’album, ait du sens. »

Pas d’improvisation, pas vraiment de flexibilité! Sur scène, comme ce 14 mai aux Nuits Botanique, elle a ses « partitions ». Elle qui travaillait il y a quelques années avec de l’humain s’est aujourd’hui tournée vers la technologie. Dont elle pourrait se sentir dépendante? « Il y a des avantages et des inconvénients, bien sûr. Si je me suis tournée vers l’électronique, c’est principalement pour pouvoir être autonome. A partir d’une toute petite machine, je peux faire beaucoup de bruit, toute seule! C’est excitant. » Sauf qu’avec les orchestres, elle a aussi goûté à la virtuosité, à la complexité du jeu. Elle admet, encore: « C’est pourquoi aujourd’hui, je ne me sers plus trop du laptop exclusivement, mais de clarinettes, de percussions… »

Anna Meredith n’écoute pas beaucoup de musique électronique. Pas besoin donc de lui demander si tel artiste l’intéresse plus que tel autre. « J’imagine que comme pas mal d’ados des nineties, j’ai été exposée à la dance. J’aime danser. Mais je n’ai jamais eu envie de creuser plus avant. Oui, je dirais même que je me tiens à l’écart de tout ça. »

Beethoven en machine

N’empêche, musique classique et électronique se fréquentent plus souvent qu’on ne l’imagine. Quant aux artistes issus de l’un de ces deux univers et qui viennent s’exprimer dans l’autre, ils ne se contentent plus d’un public ultra confidentiel. Il y a 20 ans sortait ainsi Pieces In a Modern Style de William Orbit, soit des versions aux machines de Vivaldi et Beethoven notamment. En 2006, Aphex Twins et Squarepusher se retrouvaient sur le double live Warp Works & 20th Century Masters du London Sinfonietta. Quant à Jeff Mills, l’un des pionniers de la techno de Detroit, il joue avec des orchestres philharmoniques, de même qu’avec le pianiste Mikhail Rudy. Mieux: le « wizard », comme on le surnomme, croit à une fusion possible entre les genres, un concept qui, constate-t-il, s’est déjà imposé dans les esprits européens, alors que chez lui, aux States, il va encore avoir un bon bout de chemin à faire. Plus pragmatiquement, Mills conçoit en outre parfaitement que pour un ensemble classique, jouer avec des artistes issus de la scène électronique est une manière de se trouver un nouveau public. Quelque peu rajeuni, éventuellement.

A 33 ans, l’Allemand Nils Frahm ne pense déjà plus en termes de genres. Le pensionnaire du label Erased Tapes, qui affiche un parcours où électro et classique fricotent allègrement, est aussi créatif assis au piano que devant un Moog. Collabore régulièrement, même pour ses propres albums, avec des purs et durs du laptop, et fréquente le festival électro du Bozar aussi bien que la plaine de Dour. De là à dire que tout musicien devrait goûter au classique avant de trouver sa voie… « Personnellement, j’y ai trouvé ma propre approche de l’écriture, réagit Anna Meredith. Mais après, au risque de vous paraître un peu cheesy, chacun suit son propre chemin. C’est l’honnêteté qui prime, sentir qu’on a eu une idée et qu’on a aimé la développer. La musique classique m’a donné une approche plus que des capacités. Je vois beaucoup d’artistes qui n’ont pas suivi ce parcours et qui ont développé des capacités que je n’ai pas du tout. La production, par exemple, qui n’est vraiment pas mon fort. »

Loin d’être devenue une geekette, l’Anglaise voit encore un autre point commun entre classique et électronique. « Une fois qu’on gratte un peu la surface… Vous pouvez connaître quelques petites choses et fonctionner comme ça, mais c’est aussi un univers immense de possibilités, de tendances, de gens qui ont un avis et tentent de vous l’imposer… Quand je me suis lancée dans l’électronique, on m’a pressée d’utiliser du matériel vintage! Il y a des préjugés dans chacun des deux univers, et ce sont souvent les mêmes. »

ANNA MEREDITH, VARMINTS, DISTRIBUÉ PAR MOSHI MOSHI RECORDS/PIAS.

8

RENCONTRE Didier Stiers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content