Moulin sans paroles – Un an après sa mort brutale, l’éclectique jazzman se voit honorer par un box rétro qui passe en revue trois décennies de groove.
Triple CD « Boxof »
Distribué par EMI.
n écoutant ce box de 45 plages, et même sa plus modeste version Bestof (15 titres), on ne peut s’empêcher d’essayer de repérer la période d’enregistrement des morceaux. Parfois, on se tromperait presque, comme pour Killer Joe, une reprise live de Quincy Jones et Benny Golson. Elle date de 2007 mais pourrait parfaitement avoir été bouclée 20 ou 30 ans auparavant. En cause: une façon univoque de fabriquer du son et du jazz, de caresser la force tranquille d’une musique qui, chez Moulin, est généralement épargnée par les spasmes et les ruptures. Le box parcourt ainsi 36 années: de la formation Placebo en 1971 – aucun lien avec le groupe de Brian Molko – aux ultimes morceaux datés de 2007. Au tout début des seventies, Moulin a déjà trimballé ses claviers et sa grande carcasse musicale de session-man, parcourant la Belgique et une partie de l’Europe en compagnie des vedettes étrangères de passage. Il en conçoit une attraction pour le fourmillement des genres, une façon de se lover dans la musique des autres qui s’additionne à l’admiration sans borne éprouvée pour Miles Davis. Il ne jouera jamais avec ce dernier mais l’interviewera en 1986 pour Cargo de Nuit. Miles est son point de croix, son idole absolue, qui s’immisce d’ailleurs dans son travail sous forme d’effractions de claviers ou de… trompettes, surgissant par à-coups dans la mélodie. Chez Moulin cependant, règne un plus grand désir d’harmonie que chez Miles, déconstructeur magistral, prince nègre, héroïnomane, boxeur amateur et amateur de voitures rapides. Si la musique est le double gémellaire de la vie, cela explique que celle de Marc est, d’une certaine façon, plus bourgeoise, moins viscérale. Mais tout aussi décloisonnée.
Tubes inattendus
A la sortie en 2001 de Top Secret – son premier album pour Blue Note -, on avait titré St Moulin pour un papier dans Le Vif. Fine (…) allusion à St Germain, artiste français, qui triomphe alors avec un album de soul house, style assez proche de ce que Moulin livre dans Top Secret et dans les 2 albums qui suivent. Une taquinerie puisque les racines du genre sont déjà en graines dans les propres disques de Placebo ou l’album solo Sam’Suffy sorti par MM en 1975. A son jazz naturel, Moulin rajoute début des années 2000 une dose de soul funk incarnée par la vocaliste Christa Jérôme, addition décisive au shaker des genres, sur lequel Marc aime tant gloser. Du coup, des titres comme Into The Dark ou I Am You forcent la porte des radios non spécialisées et prennent la couleur de tubes inattendus. Mais la suavité que Marc met dans ces morceaux ondulants l’éloigne du côté parfois rugueux de sa musique seventies. D’où certains parfums qui, sur la longueur, peuvent sembler un brin anesthésiants. Les quelques inédits glanés par le box ne changeront pas cette perception, mais rappelleront, via la version presque talk-over du Comme à la radio d’Areski-Fontaine, que Moulin avait aussi de l’humour. Y compris en musique. Reste maintenant à concevoir une compilation transversale qui, de Telex au Banana Split, en passant par les sorties sur son propre label Kamikaze ou les prod pour Philip Catherine, fera un portrait plus complet de cet homme étonnant…
www.marcmoulin.com
Lire aussi notre article sur LE documentaire marc moulin (comme à la radio) en page 61.
Philippe Cornet
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