Le génie du ballon – Un homme s’en remet à Eric Cantona pour sortir d’une mauvaise passe. Foot, solidarité et bons mots au menu d’une comédie sociale de Ken Loach.
De Ken Loach. Avec Eric Cantona, Eric Bishop, John Henshaw. 1 h 59. Sortie: 10/06.
Nouveau film de Ken Loach, Looking for Eric se décline en forme de plaisirs multiples. A la mesure, en fait, du désir qui l’a suscité, celui d’Eric Cantona de se colleter avec son passé de footballeur rejoignant celui du réalisateur d’en revenir à une matière plus souriante. Avec, à l’arrivée, une comédie sociale généreuse mais lucide, doublée, ce qui ne gâte rien, d’un hommage décalé à un authentique artiste des terrains de football, qui trouve là un rôle idoine.
Au c£ur de cette histoire, Eric Bishop (Steve Evets), postier de son état pour qui voilà un moment, déjà, que l’existence a cessé d’être un long fleuve tranquille. Sa vie amoureuse n’est plus qu’un lointain souvenir, dont lui reste une (grande) fille point avare de reproches. Et le reste n’est guère plus encourageant, entre soucis domestiques – installés à demeure chez lui, ses deux beaux-fils flirtent avec les embrouilles et lui mènent la vie dure -, constats d’échec à répétition, et appétit de vivre aussi affuté qu’un encéphalogramme plat. Tout au plus si ses collègues postiers, bande de joyeux drilles doublés de supporters acharnés de Manchester United, réussissent à lui maintenir la tête hors de l’eau… Jusqu’au jour où, mu par une inspiration subite, Eric Bishop décide, en désespoir de cause, de s’adresser au poster punaisé sur le mur de sa chambre: que ferait-il dans sa situation, lui, Eric Cantona, la star de Man U, l’homme aux mouettes et autres arabesques du ballon rond?
Canto-philosophie renouvelée
Le génie du ballon transformé en génie tout court, il fallait certes y penser. C’est là le pari, gonflé, de ce Looking for Eric, qui transcende pourtant rapidement le côté apparemment absurde du postulat. Avec Cantona tel qu’en lui-même – « I’m not a man, I am Eric Cantona », sûr qu’il fallait également l’oser, celle-là -, le film dispose d’un maître-atout à l’image dédoublée: en prise directe sur sa légende, certifiée encore par des images d’archives; mais avec aussi ce qu’il faut de distance pour que s’y glisse un sens aiguisé de l’autodérision. Pour preuve, une collection d’aphorismes venus renouveler le catalogue, déjà bien fourni, de la canto-philosophie.
Pour autant, Looking for Eric n’est pas qu’une fable-farce, aussi sympathique, bien conduite et magistralement interprétée soit-elle, d’ailleurs. Si Loach n’a sans doute jamais laissé aussi libre cours à sa veine comique – jusqu’au burlesque d’un final proprement soufflant -, le film n’en recèle pas moins une large part de vérité, humaine comme sociale. Le c£ur à gauche toutes, le réalisateur y va d’un vibrant éloge de la solidarité, en même temps qu’il salue le refus du renoncement face aux dérives d’une société dont le film porte la critique en creux – ainsi, pour rester, dans le ton, du détournement du football de son assise populaire.
Le tout, sans jamais verser dans le manifeste outrancier, mais en s’en tenant à une juste et stimulante humanité, au c£ur d’un feel good movie tout simplement euphorisant. Modeste, peut-être, mais pas mineur pour autant, voilà un film magnifique autant que magique… l
www.lookingforeric.fr
Voir aussi notre dossier en page 20
Jean-François Pluijgers
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