Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

TRANCHE NAPOLITAINE – ON N’ÉCHAPPE PAS À SON DESTIN. ET À NAPLES, ON N’ÉCHAPPE PAS À LA CAMORRA. UN SYSTÈME INÉLUCTABLE, DÉCORTIQUÉ AVEC L’ACCENT DU CRU.

DE FRANCESCO DE FILIPPO, ÉDITIONS MÉTAILIÉ NOIR, TRADUIT DE L’ITALIEN, 240 PAGES

Autre part, à un autre moment, le gentil Gennaro, 21 ans, aurait pu finir maçon, ou plombier, garçon de course, ou tout autre métier qui ne fait de mal à personne, et qui lui aurait permis de nourrir sa femme et ses 2 minots. Mais Gennaro est né, vit et n’a jamais quitté Naples et ses quartiers populaires, où le sens de la démerde fait office de revenu minimum d’insertion. Alors le brave petit Napolitain va, comme tant d’autres, se transformer en monstre. Car lorsque le parrain local, pas si local que ça, jette son dévolu sur vous, et vous demande un service, puis un autre, on ne refuse pas. Face à la volonté et à l’extrême violence de don Rafele, Gennaro va plier, comme toujours, comme tout le monde, et va finir par rompre. L’Offense, 2e roman de Francesco De Filippo, journaliste napolitain exilé à Rome, est le récit brutal de cette métamorphose, typiquement « Napul' », d’un innocent en bourreau. Et une pierre de plus dans le jardin du polar italien, décidément en pleine forme.

Ce n’est pas et de loin la première fois que la littérature noire se jette sur les systèmes mafieux. Cammoras, mafias et ‘Ndrangheta lui ont toujours naturellement offert des terreaux plus que fertiles. Et Gennaro n’est pas le premier candide à l’accent italien que l’on verra se brûler les ailes à plus mafieux que lui. Mais cette Offense reste pourtant à lire: on y découvre la Camorra d’aujourd’hui, son business désormais mondialisé et son omniprésence. Sa triste modernité aussi: là où Le Parrain et d’autres monuments mafiosos continuaient à trouver dans la boue de nobles sentiments et certaines règles de vie, L’Offense fait le constat vertigineux d’une époque dominée par la peur, l’amoralité et l’extrême violence: aujourd’hui, à Naples, il n’y a plus de limites. Hommes, femmes, enfants, vieillards, animaux, innocents… tout le monde y passe. Et s’il existe encore un vague espoir de rédemption, il ne se terre plus que dans la fuite.

Littéraire et littérale

L’Offense est donc un roman on ne peut plus contemporain, doublé d’une puissante £uvre littéraire. Ou plutôt littérale: écrit à la 1re personne, le roman de Francesco De Filippo nous plonge dans la tête de son martyr Gennaro, mais aussi dans la matière de ses mots. L’Offense fut écrit en grande partie en pur argot napolitain. Une particularité qui fait du traducteur Serge Quadruppani, déjà rôdé aux romans d’Andrea Camilleri, le véritable co-auteur de cette version française. Répétition des voyelles, dédoublement de mots, insertion permanente d’expressions locales suivies de leur traduction… L’Offense ne fut pas un chemin de croix pour son seul protagoniste! Le résultat est un morceau de bravoure. Qui agacera certains mais en fera voyager beaucoup d’autres. Direction Naples, où les bas-fonds commencent au sommet des immeubles. l

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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