Parti comme un duo de cabaret cosmique, voilà le groupe anversois magnifié par un troisième disque toujours incandescent, mais qui lèche ses blessures existentielles dans des douceurs inédites.
Un drôle de couple qui n’en est pas un – l’un est gay, l’autre pas – se produit au Recyclart de Bruxelles un soir de septembre 2003. Paire contrebasse-voix, répertoire gospel et negro spirituals. Le grand instrumentiste, Nicolas Rombouts, roule des pelles aux mélodies: il en sort des chaleurs équivoques qui s’immiscent dans les chansons de Mahalia Jackson ou Nina Simone. Face à lui, Gregory Frateur, un jeune homme pas très grand avec une voix colossale. De son coffre magique, sortent des notes théâtrales, exagérées, douloureuses, swing, cabaretières, nègres et baroques. Face au festival d’adjectifs, c’est un superlatif qui s’impose: remarquable. Nicolas a 32 ans. Fils d’entrepreneurs anversois, il a étudié l’Histoire médiévale, quittant la préparation de son doctorat pour la musique. Un Master au Conservatoire Jazz d’Anvers en poche, il attrape un coup de foudre chimique pour la voix de Gregory. » Au tout début, on était là, à deux, à remplir l’espace, moi, avec des notes basses et Gregory plaçant sa voix dans les hauteurs. L’espace au milieu, on le laissait à l’imagination du public. » La formule dépouillée se retrouve dans un premier album autoproduit, paru en 2004 ( Pursued Sinners) où s’invitent aussi accordéon et trompette. On est happé par le sens de l’espace, la manière dezmonaesque de détourner le silence dans la rondeur mais parfois aussi dans la violence des notes crues. Jusqu’au cri primal, thérapie qui fait remonter les traumas pour mieux les crucifier. Dans la sublime finale du disque ( Who Knows Where The Time Goes, une reprise de Sandy Denny ), l’émotion fait sauter tous les barrages. Gregory Frateur devient le Tim Buckley d’Anvers; l’ancien garçon coiffeur, prince d’une royale coupe sentimentale qui bousille tous les brushings rock. Bluffé qu’on est. » Quand j’étais coiffeur, près du Musée des Beaux-arts d’Anvers, je voyais tous ces gens penser que changer d’apparence pourrait faire d’eux des stars, des acteurs, embrasser une fausse vie. Ces rencontres ne m’ont pas inspiré de chansons mais appris à vouloir être moi-même, une quête constante. » Gregory, 30 ans, vient de la classe moyenne de Boom, une petite communauté sans histoires au sud d’Anvers. Il l’a quittée pour raconter ses propres histoires, d’où ces textes blessés qui ont longtemps tutoyé la colère. » Nos deux premiers disques sont des protestations, un refus de se voir imposer la soi-disant norme sociale. »
Octobre 2009, bande à part
6 années ont passé depuis le moment révélateur de Recyclart. Un second album enregistré en quintet – Moments Of Dejection Or Despondency – confirme en mars 2007 que le plus beau talent d’Anvers s’appelle Dez Mona. Ce deuxième chapitre laisse quelques moments foudroyants dans son sillage. La voix de Gregory, vitrifiée par la mélancolie, amène le spleen vers une tension proche des drames de l’opéra. Ou du cinéma. Si Dez Mona était un film, ce serait peut-être un Fassbinder, pas celui du backroom gay de Querelle de Brest mais plutôt le mélo imparable du Secret de Veronika Voss. Le 8 octobre, nourri de ces impressions durables et d’un nouveau disque imposant, on assiste à un concert privéà Bruxelles. En scène, dans des éclairages qui sculptent les silhouettes, deux choristes, un claviériste, un accordéoniste et un batteur entourent Nicolas et Gregory. Tous sont habillés des costumes de Veronique Branquinho: au chanteur, la modiste flamande a taillé un ensemble simili glam porté sur un t-shirt brouillé avec la couleur. Déstabilisant le t-shirt! Comme la première demi-heure du set où Gregory ressemble à un boxeur engagé chez Béjart: il arpente les planches le corps droit comme un i alors que la musique est bourrée d’accents circonflexes. Et on a envie que le batteur écrase la mélodie, nous sorte des langueurs proposées. D’autant que le haut plafond de la salle contrarie les inflexions infiniment subtiles du groupe. Le choc attendu se passe avec Blue Girl – extrait du premier disque – où Gregory se lâche enfin, des camions de sueur dans la voix, dévalant des collines de notes pour remplir des lacs d’émotion. Les 40 minutes suivantes chauffent les chansons nouvelles et anciennes à blanc, saignent les mélodies pour en découvrir les artères blues et gospel, on pense à Nick Cave, Antony & The Johnsons, Brel devenu anglais et puis tous ces relents des musiques noires religieuses américaines. En particulier, l’accordéon de Roel Van Camp – membre des formidables DAAU – nous rappelle qu’Anvers a longtemps été une case à marins perdus. Gregory: » Le concert est comme un rituel dont je suis le conteur. Sur scène, le monde de Dez Mona devient si grand que la réalité n’existe plus. » Dez Mona chante qu’il ne veut pas être l’esclave de la société, la nécessité de vivre ensemble, la tolérance. La beauté aussi, énormément. Le lendemain du concert, à Anvers, sous le soleil d’automne qui souligne toutes les images de la rue , Nicolas et Gregory ont digéré la nuit. On mange du poisson, le vin est blanc, la vie est belle. Et Dez Mona est un putain de groupe. Dez Mona est en concert le 20/10 à l’ Ancienne Belgique et le 23/10 au Botanique, ainsi qu’à Gand et Anvers.
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Texte Philippe Cornet
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