Julianne Moore engage une escort girl pour mettre à l’épreuve la fidélité de son mari dans Chloe, réinvention du Nathalie d’Anne Fontaine. Rencontre avec son réalisateur Atom Egoyan.

Texte Julien Broquet

Habitué de Cannes, il a connu son plus grand succès critique avec Exotica. Adapté Russell Banks ( De Beaux Lendemains). Tâté du thriller ( Le Voyage de Felicia). Et traité du génocide arménien ( Ararat). Atom Egoyan est un touche-à-tout. De ceux qui vont au fond des choses. Dans Chloe, relecture à Toronto du Nathalie d’Anne Fontaine, le Canadien joue avec les apparences, questionne la fidélité et la confiance dans le couple.

Qu’est-ce qui vous a décidé à diriger pour la première fois un film dont vous n’aviez pas écrit le scénario?

Quand j’ai lu le script, je me suis senti happé. J’ai tout de suite eu l’impression qu’il s’agissait d’une histoire à laquelle je pourrais donner vie. J’étais intéressé par les personnages, les situations auxquelles ils faisaient face. Et surtout, on m’offrait la possibilité de travailler avec mon équipe. On m’a proposé beaucoup de scénarios ces dernières années. Chloe est le premier que j’ai pris au sérieux et qui a vu le bout du tunnel. Parfois vous craquez sur un projet mais il n’arrive jamais à terme.

En quoi est-ce différent de raconter l’histoire d’un autre?

On se sent nettement moins seul. Quand j’écris un script, même mes collaborateurs les plus proches n’arrivent pas à deviner ce qui me passe par la tête. Ils me confient à la fin du tournage qu’ils n’ont guère osé me le dire mais qu’ils n’ont jamais compris de quoi parlait le film avant de le voir terminé. Mes scénarios sont très abstraits. Et donc pas très attirants commercialement parlant. En lisant Chloe, on sait sur quel terrain on s’aventure. Ça aide à trouver des financements. Ce film a pourtant été plus compliqué à monter que je l’imaginais. Je pensais qu’avec ces producteurs, avec ce casting, on trouverait facilement des fonds mais les drames sont de plus en plus difficiles à tourner. Le film s’est fait grâce à Studio Canal. Je trouve intéressant que l’argent vienne d’Europe et pas des Etats-Unis.

Pourquoi regarder Chloe si on a déjà vu Nathalie?

Le film français est très fort mais nous n’en avons pas tourné un remake. Nous l’avons réinventé. Les dynamiques des 2 longs métrages sont fondamentalement différentes. Dans Nathalie, le personnage de Fanny Ardant ne fait pas sa crise de la cinquantaine. Elle ne ressent pas la même colère que Julianne Moore dans Chloe. Chloe, c’était une opportunité extraordinaire pour moi d’examiner jusqu’à quel point on se permet de croire que quelque chose qui semble évident n’existe pas.

Avez-vous pris beaucoup de libertés par rapport au scénario?

Quand je l’ai reçu, l’histoire se déroulait à San Francisco. Une ville que j’aime beaucoup mais qui n’est pas la mienne. Or je devais cadrer ce récit dans un milieu social familier. Dans un endroit qui était proche de moi. J’ai senti que je pouvais rendre Toronto romantique. C’est plutôt intéressant et excitant d’introduire sa propre ville dans un film. Sur papier, Chloe dit qui elle est. On sait où elle vit. J’ai laissé tous ces éléments tomber. Ils auraient rendu le long métrage moins puissant et mystérieux. On n’a pas besoin de savoir. Mieux vaut laisser libre cours à notre imagination. J’ai aussi changé la fin. Mais mon job était avant tout de gérer le casting et les acteurs. De trouver le bon ton. Le bon rythme. Les bons décors.

Justement, comment, en tant qu’homme, êtes-vous parvenu à retranscrire avec autant de profondeur à l’écran la complexité des sentiments féminins?

Je vis avec une femme depuis 25 ans… Le mariage est quelque chose de compliqué. On se rencontre généralement quand on a la vingtaine mais les gens changent en vieillissant. Le personnage de Catherine a l’impression de disparaître. Elle est en panique. Une panique tangible. Douloureuse. Je m’intéresse énormément à tous les êtres humains que je montre dans mes films. Homme ou femme. Je veux savoir quelles relations ils entretiennent, comment ils font face à leurs craintes et doutes. Le truc, c’est qu’on ne voit pas beaucoup de femmes quinqua au cinéma. Parce qu’elles ne sont pas considérées comme commercialement intéressantes. La plupart des gens dans l’industrie pensent qu’ils n’arriveront pas à vendre un film sur une femme de 50 balais en plein doute.

Est-ce que le mensonge est un bon moyen de découvrir la vérité?

C’est le cas dans bon nombre de mes films. Avec Chloe, il s’agit plus d’une manière de se comporter. On joue avec un concept pour vérifier. C’est un test. Une expérience. Une construction. S’agit-il d’un mensonge? Décevez-vous les gens? Le faites-vous de manière malicieuse? J’aime toutes ces questions. Ces sujets me sont chers. L’ambiguïté me fascine.

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