De haut vol, la 66e Mostra s’est tenue à l’écoute des nouveaux talents, comme l’Israélien Samuel Maoz, Lion d’or pour Lebanon, et de la marche chaotique du monde. Bilan.
S’il ne fallait souligner qu’un trait de la 66e Mostra qui vient de s’achever à Venise, ce serait assurément l’excellence de la sélection, qui a valu aux festivaliers d’aller, jour après jour, de découvertes en confirmations, en un mouvement qui ne s’est jamais démenti tout au long du Festival. Objet d’un feu nourri de critiques au terme d’un millésime 2008 désolant – même si quelques films avaient donné le change, parmi lesquels le Lion d’or The Wrestler -, le directeur Marco Müller a su magistralement corriger le tir. Avec, en outre, la perspective prochaine d’un tout nouveau Palais du Cinéma, plus conforme aux exigences de l’époque, l’horizon s’est singulièrement éclairci du côté du Lido – de façon symptomatique, c’est à peine si l’on a entendu parler, pendant la manifestation, du rival romain, qui pointera le bout du nez à l’automne.
S’agissant du palmarès, le jury présidé par Ang Lee a su parfaitement refléter la richesse et la variété des films présentés en compétition, tout en privilégiant joliment l’émergence de nouveaux talents. Le Lion d’or à Lebanon, premier long métrage de l’Israélien Samuel Maoz, c’était, si pas une évidence, une probabilité, tant le film – une plongée au c£ur de la guerre du Liban en 1982, vécue de l’intérieur d’un char israélien – avait frappé les esprits. Une autre « débutante », l’Irano-Américaine Shirin Neshat, obtient pour sa part un prix de la mise en scène non moins mérité, avec le formellement irréprochable Women Without Men. Enfin, les prix d’interprétation saluent également deux premiers films par leurs comédiens interposés: l’actrice russe Ksenia Rappoport, pour La doppia ora de Giuseppe Capotondi, et le Britannique Colin Firth, exceptionnel dans A Single Man du styliste Tom Ford.
A leurs côtés, des auteurs qui, pour être établis, n’en constituent pas moins eux aussi l’avenir du cinéma: l’Allemand Fatih Akin s’en repart avec un prix spécial du jury pour son décoiffant Soul Kitchen; l’Américain Todd Solondz obtient l' »osella » du scénario pour l’acéré Life During Wartime, et, last but not least, l’enchanté Mr Nobody de Jaco Van Dormael est récompensé pour les décors de Sylvie Olivé. Ajoutons un prix de la meilleure jeune actrice à Jasmine Trinca, dans Il Grande Sogno de Michele Placido, et l’on tient un palmarès relevé et équilibré. Signe encore de l’excellence de cette édition, d’autres films n’y auraient certes pas déparé – on songe particulièrement à White Material de Claire Denis, et à The Road de John Hillcoat.
Moments de rupture
Un vent cinématographique nouveau aura donc bercé une Mostra, par ailleurs clairement à l’écoute d’une époque incertaine. De toutes parts, ce sont des images d’un horizon fracturé qui nous par-viennent. Sous des formes variées, le constat est sans appel, à savoir celui d’un monde malade, sans rémission prévisible à court terme. De cela, plusieurs films proposent une traduction littérale, opérant au c£ur même du fléau. Ainsi de Lebanon qui renvoie les protagonistes de la guerre – le Liban en 1982, avec possibilité d’extrapolation – à un même désespoir. A peine si l’horizon apparaît moins dévasté dans le Capitalism: A Love Story de Michael Moore. A sa façon discutable, le cinéaste pamphlétaire y fait le procès d’un capitalisme dont la crise des subprimes aura été la manifestation exacerbée, ravageant l’Amérique dans sa chair même. Plus subtil certes, et sur le mode d’une comédie séduisante, The Informant! de Steven Soderbergh se fait l’écho d’une même réalité, laissant à Matt Damon le soin d’incarner à la fois le rêve américain et son leurre.
La perspective est là, imagée. D’autres font appel à l’histoire et à son potentiel métaphorique: Giuseppe Tornatore et Michele Placido sont de ceux-là, qui évoquent, dans Baaria et Il grande sogno, des périodes charnières de l’histoire de l’Italie au XXe siècle – l’élan communiste pour l’un, mai 68, pour l’autre -, sans toutefois s’émanciper d’un cadre strictement illustratif, et accessoirement par trop sentimental. Un reproche que l’on pourrait également formuler à l’endroit de Lei wangzi du Taïwanais Yonfan, et évoquant celui-là la chasse aux sorcières que connut Formose dans les années 50. Shirin Neshat porte, pour sa part, dans Women without Men, le regard sur le coup d’Etat que connut l’Iran en 1953, non sans, à travers le destin de 4 femmes, habilement en évoquer les incidences contemporaines, celles d’une déflagration aux effets toujours palpables. Comme, du reste, celle à l’£uvre dans White Material de Claire Denis, filmé au c£ur du chaos africain…
Multitude de possibles
Werner Herzog inscrit pour sa part Bad Lieutenant au lendemain du désastre, à savoir le cyclone Katrina qui frappa la Nouvelle-Orléans. Le monde qu’il dépeint est au bord de l’implosion, comme celui du Brooklyn’s Finest d’Antoine Fuqua. La fracture est, dans ces deux cas, morale et intime. Il n’en va pas autrement du Life During Wartime de Todd Solondz, qui n’en finit plus d’explorer les dysfonctionnements de la famille américaine, là où, adaptant Cormac McCarthy dans The Road, John Hillcoat fait le pari de la transmission dans un horizon post-apocalyptique. On trouve là toutefois l’expression palpable d’une peur du lendemain – celle à l’£uvre aussi dans A Single Man de Tom Ford, dans Accident de Soi Cheang, sans même parler des films de zombies ( La Horde, Survival of the Dead, Rec 2) que l’on a vus proliférer comme rarement.
On s’en remettra dès lors à la Soul Kitchen de Fatih Akin pour garder la tête hors de l’eau, sauf à, comme Jacques Rivette dans 36 vues du Pic Saint Loup, tenter sereinement un exercice d’équilibriste invitant à revivre malgré tout. A quoi l’on ajoutera, à la façon du Mr Nobody de Jaco Van Dormael que, face aux incertitudes du moment, il nous reste une multitude de possibles…
Texte Jean-François Pluijgers, envoyé spécial à Venise.
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