POUR SON CINQUIÈME ALBUM, VINCENT DELERM ACCENTUE SON PARLANDO RÉCITATIF, GLISSANT L’UNE OU L’AUTRE CHANSON DANS UNE HISTOIRE D’AMOUR RACONTÉE HORS FORMAT. FORCÉMENT MÉLANCOLIQUE, FORCÉMENT CINÉMATOGRAPHIQUE.

A la première écoute, Les Amants parallèles déçoivent un peu. Peut-être parce que Delerm, on l’aime pour ses scies comme Fanny Ardant et moi ou Deauville sans Trintignant, le goût obsessionnel du name dropping, la pop en sucre lymphatique et cette voix qui chante comme d’autres habitent en Suisse. Avec une faiblesse pour le confort. Et puis, bien sûr, l’album s’insère davantage à chaque écoute, la fragilité apparente des mélodies renvoyant aux textes plus que jamais truffaldiens (lire par ailleurs). Plus causé que chanté donc. Décembre à Anderlecht, nous voilà quelques années après une première rencontre où le Français de 1976 -Vincent aime les dates- né à Evreux -et les lieux- s’affiche désormais quasi quadra aux cheveux poivrés. Entretemps, il a écrit quatre albums, du théâtre (Le Fait d’habiter Bagnolet) et un spectacle baptisé Memory « quasi sans chansons » qui a beaucoup tourné dans des shows mêlant volontiers musiques et interludes parlés. Il a même embauché un autre Français notable -Jean Rochefort…- pour un clip kitsch en 2006 et un disque qui l’était moins en 2011 (Léonard a une sensibilité de gauche). C’est pas tout: ce garçon aimable au look plus intello juif new-yorkais que fan hexagonal des Smiths -sujet d’Hacienda sur le nouveau CDaffirme, à la stupéfaction presque générale, qu’il « aime la promo« …

… Mais encore?

La fabrication d’un disque consiste à passer beaucoup de temps avec les chansons, en vase clos, dans son coin. Donc, en parler ensuite est un privilège. Je ne suis pas vraiment stressé parce que les choses semblent fonctionner suffisamment à chaque fois pour continuer le chemin, avec la chance de pouvoir habituer les gens à autre chose.

Cet album est mené dans un style plus que jamais cinématographique: parlé, récitatif, narratif. Ta thèse de Lettres examinait l’importance de la littérature chez François Truffaut; là, on pourrait franchement analyser l’importance du cinéma chez Vincent Delerm, non?

Oui, il y a un triangle cinéma-chanson-littérature, auquel on peut ajouter la photo. Celle-ci est venue sur la dernière tournée -j’en ai même fait un bouquin- captant tous ces trucs comme la solitude ou les codes des gens de théâtre qui te disent que le rapport de leur scène à la salle est « formidable ». Sous-entendant que si tu ne fais pas un triomphe chez eux, c’est que tu es forcément naze… (sourire). Le disque est « cinématographique » dans le sens où il use de procédés de montage, de collage, de fragmentation, qui font penser à un puzzle filmique. Mais cela n’a pas forcément été une volonté de départ: le morceau Le film était d’abord une « vraie »chanson, mais dans cette forme-là, elle ne fonctionnait pas. Cela a donc fini par ne ressembler à rien (…) avec ces quelques secondes tirées d’un film italien avec Mastroianni, que je ne connais pas.

Dans Deauville sans Trintignant sur ton premier album, tu reprenais une minute de monologue de Trintignant extrait d’Un homme et une femme de Lelouch…

Oui, l’extrait de Deauville sans Trintignant avait été négocié. Trintignant est venu me voir en Avignon et c’était émouvant… Surtout, il est ensuite passé à un concert au Paléo Festival en Suisse: comme il ne pouvait pas se mettre debout au milieu de la foule, les organisateurs l’ont installé sur scène, dans un fauteuil à trois mètres derrière moi. Je chantais Deauville sans Trintignant et il était juste là: la sensation était forte (sourire). Sur scène, j’essaie de capturer des sensations, pas forcément joyeuses ou tristes.

En écoutant ton disque, on pense à Truffaut, surtout quand il parle lui-même en voix off sur ses films. Tu te serais imaginé en Charles Denner dans L’homme qui aimait les femmes, par exemple?

Non, Denner y est incroyable: c’est vraiment le film qui l’a fait. Truffaut pensait que la Nouvelle Vague avait détourné une génération d’écrivains de son sort. Je ne crois pas avoir décidé du format de cet album à l’avance: cela s’est fait petit à petit, parce qu’initialement, je n’ai eu aucun doute sur mon désir de chanson. Et mon parcours est un peu à cette image: je me suis éloigné du format pour mieux y revenir. Un jour, lors d’un show télé, on m’a dit que je pourrais faire du stand-up parce que j’avais présenté une chanson, mais c’était oublier que mon intervention parlée n’avait de sens que suivie d’un morceau. Une chanson, c’est comme une photo: une manière d’arrêter le temps, d’attirer les gens sur quelque chose de précis. A mes débuts, on me disait que j’irais forcément vers des rôles au cinéma, mais non…

Pourtant, on t’imagine recevoir des scénarios de films…

Oui, cela arrive. Au début, si j’avais une scène de chanson à imaginer, je me projetais énormément dans les films de Truffaut ou de Rohmer, mais aussi dans des référents littéraires. Cela a changé. Là, je refuse les films que l’on me propose parce que si je participe à un projet, je veux en être responsable. Je pense bien jouer les rôles que je m’écris pour la scène, mais les autres… Acteur, c’est un vrai métier et ce n’est pas le mien.

Ton dernier émoi au cinéma?

The Color Wheel, très cinéma new-yorkais, 16 mm N/B, un road trip sur un frère qui aide sa soeur à déménager, sans que l’un et l’autre ne puissent trop se blairer. Je trouve que la fonction du cinéma a changé: les gens vont toujours voir des films mais n’attendent plus que leur vie en soit complètement changée, bouleversée.

Tu es un provincial « monté »à Paris: cela façonne une identité?

J’ai grandi jusqu’à 17 ans dans un village de 3000 habitants, Beaumont-le-Roger, en Normandie où mes deux parents profs et parisiens, avaient été mutés. Mon père et ma mère ne parlaient que de Paris, ce qui a créé une sorte de familiarité avec la ville qu' »en vrai », je connaissais peu. D’où un premier album qui semblait très parisien alors que je ne suis venu habiter à Paris qu’après mes études à Rouen, il y a une dizaine d’années…

La paralysie du succès quand on vend 400 000 exemplaires de son premier disque?

Je me fous des chiffres (sic): y accorder de l’importance signifierait accorder moins d’égard aux disques qui ne se vendent pas autant. Je savais que cet album-là avait touché des gens qui ne resteraient pas forcément, mais par la suite, un noyau s’est constitué, indépendamment des ventes, créant une sorte de constante. Le temps passant depuis 2002, la « crise du disque » s’est accompagnée de la « crise de la presse ». Les codes changent sans cesse, la société aussi, surtout que cela fait cinq ans depuis l’album précédent.

L’ambiance anxiogène de l’époque te mine?

Non, parce que la seule mission qu’on ait, c’est d’adoucir la vie, de proposer une forme d’entertainment: on n’attend pas de nous que l’on se mette en position de repli. Bon là, évidemment, je théorise… Ma seule inquiétude, c’est de décevoir les gens: après, les hasards jouent, par exemple ceux du calendrier. Ton disque sort en même temps qu’une tournée de Prince et tu es dégagé des médias. C’est un grand casino.

Là, tu raisonnes, tu ne cèdes pas aux sentiments: une question d’éducation?

Je le pense. Mes parents étaient essentiellement profs et je ne voyais pas ce qu’ils faisaient à côté: ma mère, illustratrice de livres pour enfants, sortait ses pinceaux discrètement puis les remballait, elle n’avait pas d’atelier. Je n’ai pratiquement jamais vu mon père (Philippe) écrire. Chez moi, à Paris, j’ai un piano, mais aucun micro. Rien ne donne l’impression que je suis chanteur, sinon on tombe vite dans le « papa travaille, il ne faut pas le déranger ». La personne qui partage ma vie absorbe déjà mon stress, s’occupe de la famille pendant que je fais mon truc de séduction. Mes enfants -trois et six ans- savent que je chante; en tout cas, l’aîné: les enfants de chanteur ont l’impression que tous les pères le font…

Quelle est ton idée de la transmission?

En tournée, je rencontre beaucoup de gens qui me disent qu’ils ont fait de la musique pendant trois, six ou dix ans en la subissant. Je crois beaucoup à la transmission involontaire, en creux, par exemple d’une atmosphère. Le boulot de chanteur, ce n’est que de la transmission: tu transmets une émotion, une pensée, un rien, un sentiment. C’est ce que j’essaie dans Hacienda: rappeler le vertige que j’éprouvais par rapport à Manchester quand j’étais étudiant à Rouen, entre 18 et 25 ans, les concerts d’indé-pop, les filles. En même temps, Rouen, avec ses constructions en briques et les conditions pluvieuses, c’était déjà un peu l’Angleterre…

RENCONTRE Philippe Cornet

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