Lettres manquantes

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le Centre Pompidou expose un géant de la peinture du XXe siècle: Francis Bacon. si la littérature sert ici de prétexte, les oeuvres présentées mettent à genoux.

L’anecdote est révélatrice. Alors que le parcours de Bacon en toutes lettres se découvre plutôt fluide en termes de fréquentation, l’ultime étape du tracé se révèle, quant à elle, sévèrement embouteillée(1). En cause, des visiteurs, avides de miettes de sens, qui s’agglutinent devant une série de petits films dans lesquels Francis Bacon (1909-1992) explique précisément sa peinture, en anglais et en français. On devine tous les bons petits missionnaires de la culture restés sur leur faim, frustrés par une scénographie peu disserte quant à ce qu’elle promet, à savoir expliquer les rapports entre l’artiste britannique et la littérature. Il faut l’avouer, cette accroche fonctionne à plein régime dans la mesure où, pour un peintre, l’adhésion à cette condition de création ouvre la porte à tous les fantasmes. Disons-le tout de suite: de lettres, il n’est pas beaucoup question. L’exposition est ponctuée de six salons acoustiques dans lesquels les visiteurs peuvent se poser et écouter un court texte, lu par un comédien, choisi parmi les ouvrages -les vrais exposés sous plexi, avis aux fétichistes- de la conséquente bibliothèque du natif de Dublin. Au programme, Eschyle, Nietzsche, Eliot, Leiris, Conrad et surtout Bataille avec un redoutable passage sur l’abattoir. Mais les liens avec les oeuvres présentées sont pour le moins ténus et, qui plus est, jamais explicités ouvertement. L’exposé de Michel Leiris sur la tauromachie se voit artificiellement illustré par un tableau figurant un malheureux taureau, sans plus d’explications. On aurait aimé comprendre comment ces auteurs ont agi en profondeur sur la peinture de Bacon. D’autant plus qu’à travers le recours répété à l’ellipse, flagrant dans ses triptyques à la narrativité interrompue, l’artiste s’est ouvert une voie royale vers la littérature. On peut regretter que le commissaire, Didier Ottinger, n’ait pas jugé bon de creuser cette piste.

Sado-masochisme

Face à une promesse non tenue, deux solutions: soit on se braque, soit on relève la tête. Résilient, on a opté pour cette dernière option. Car enfin il serait débile de passer à côté du vaste et remarquable panorama offert par la soixantaine de toiles retenues. Parmi celui-ci, il y a surtout douze triptyques qui laissent le spectateur quasi exsangue, au bord du vertige. Forces, flux, fluides, corps aux viandes étalées… c’est presque plus que l’on peut en supporter. La séquence torture l’oeil. Revient en tête cette scène évoquée par Bacon sur sa propre enfance: son père, par lequel il était physiquement attiré, le faisait battre à coup de cravache par son palefrenier. Toute la vie amoureuse du peintre a été infusée à la violence, tordue au rapport amour-haine. En donnant à voir de nombreux tableaux postérieurs au suicide de George Dyer (1971), l’amant avec lequel la relation a été la plus explosive, l’accrochage du Centre Pompidou montre l’émergence d’un certain apaisement. Trois toiles – Sand Dune (1983), Street Scene (with Car in Distance) (1984), Water from Running Tap (1984)- condensent ce nouvel élan formel marqué par le dépassement des névroses. Bacon touche là au sublime.

Bacon en toutes lettres

Centre Pompidou, à Paris. Jusqu’au 20/01.

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(1) La réservation en ligne préalable est indispensable en raison des travaux de rénovation de l’entrée principale.

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