En une poignée de films, le réalisateur de The Curious Case of Benjamin Button, film-phare de ce début d’année, s’est imposé comme maître de la mise en scène. Un créateur à la virtuosité multiple.

Un film à peine – enfin deux si l’on considère également Alien 3, un sequel réussi, mais qu’il s’empressa de renier faute de « final cut » -, et David Fincher s’imposait comme un maître metteur en scène, le grand orchestrateur d’un chaos savamment mis en place, et non moins impeccablement contrôlé. Seven est, en effet, de ces films qui font date. Par la puissance dérangeante de son propos, d’une part: Fincher y pose un regard désespéré sur la société à travers la traque d’un serial killer s’inspirant des sept péchés capitaux. Et par la cohérence et l’efficacité de la manière, d’autre part, le réalisateur chorégraphiant, dans une noirceur toute de circonstance, un ballet suffocant.

Avec, pour résultat, un film qui tutoie les sommets de tension en même temps qu’il affole l’indice de pluviométrie à l’écran. Non sans vibrer aux rythmes d’un tempo tout en sinueuses variations, culminant dans un final à l’étirement proprement tétanisant. Du grand art, pour une oeuvre référentielle en son genre – souvent imitée, mais jamais égalée depuis -, et brassant par ailleurs quelques-unes des figures dont l’auteur fera son miel – entre parano aiguë et climats d’une oppressante opacité.

Les limites d’un medium

Le genre de film, aussi, propre à faire le régal des esthètes, qui tiendront dès lors Fincher en haute estime. Si, à l’instar de nombre de ses contemporains, le réalisateur est issu des univers du clip et de la pub, avec aussi un long passage par Industrial Light Magic, la société d’effets spéciaux de George Lucas, sa vision est clairement celle d’un cinéaste s’amusant à explorer les limites de son medium. Un postulat à l’£uvre aussi bien dans The Curious Case of Benjamin Button, sur nos écrans dans quelques jours, qu’il le fut dans Fight Club, film qui, voici une dizaine d’années, déflorait les tendances à grands coups de virevoltante virtuosité – qui d’autre pour matérialiser l’absurde de la génération Ikea en un seul plan, par exemple? Et tant pis si, reconsidéré aujourd’hui, le plus « clippesque » des films de David Fincher apparaît plus tape-à-l’£il que réellement conséquent – le pur produit de son époque, en somme.

Qu’on ne s’y méprenne pas pour autant: le réalisateur a l’étoffe d’un classique. Démonstration avec le final de Seven, encore, qui montrait combien Fincher avait assimilé les enseignements du Hitchcock de North by Northwest; un film qu’il cite, du reste, ensuite dans The Game, où Nicholas Van Orton apparaît comme une variante contemporaine de Roger Thornhill. Et ballotté, comme tel, au gré des méandres d’un jeu de rôle dont il n’entrave guère les composantes, prélude à une plongée aux confins de la paranoïa. La photographie d’Harris Savides sert admirablement la stylisation chère au cinéaste ayant opté pour la noirceur en guise de tonalité. Non sans oser, dans ce film aussi perturbé que perturbant, l’une ou l’autre digression en forme de morceau de bravoure – la découverte par Van Orton des restes d’une présumée orgie de débauche au son du White Rabbit de Jefferson Airplane reste un stupéfiant mo(nu)ment de mise en scène barrée.

Fight Club et son double

Eclair surgi comme inopinément dans le film, cette scène traduit aussi le caractère parfois composite de l’esthétique d’un réalisateur visionnaire, sans pour autant afficher la personnalité entre toutes identifiable que l’on peut prêter à un Tim Burton ou à un Gus Van Sant, par exemple. Démonstration aussi avec Fight Club qui, au-delà de son sujet choc et du désarroi générationnel qu’il instruit, entraîne le spectateur dans un ahurissant tourbillon vi-suel, en une somme de visions éparses – en phase, il est vrai, avec le salmigondis tenant lieu d’argument au film.

De celui-ci, The Curious Case of Benjamin Button pourrait apparaître, à certains égards, comme l’improbable double inversé. Soit l’£uvre d’un réalisateur cultivant toujours un appréciable sens de l’étrangeté, mais ayant, pour le coup, gagné des rivages plus apaisés. L’incontestable maestria de Fincher s’y déploie dans un torrent d’images et inspirations multiples. Mais aussi, à l’occasion, au détriment de sa singularité, parfois curieusement diluée.

Nonobstant une virtuosité jamais prise en défaut, il y a là de quoi aussi conforter a contrario le sentiment que le réalisateur n’est jamais aussi souverain et personnel que lorsqu’il s’agit de mettre son génie visuel au service d’un polar tendu. Pur exercice de style en forme de huis clos claustrophobe, Panic Room (où il retrouvait Darius Khondji, son chef-opérateur de Seven) voyait Fincher témoigner d’une exceptionnelle maîtrise dans une mécanique à multiples détentes concentriques.

Polar et monomanie

Quant à Zodiac, chronique d’une affaire criminelle ayant secoué les Etats-Unis au tournant des années 70, et réalisé pour sa part avec le concours d’Harris Savides, on y verra la quintessence du style-maison, à la fois sombre (un plan suffisant au metteur en scène à baigner la toile d’opacité pour ne plus l’en libérer), élégant et acéré. Rigueur et sobriété sont ici au service d’un propos obsessionnel pour un cinéma tendance monomaniaque.

A divers égards, The Curious Case of Benjamin Button traduit une évolution sensible dans le parcours du cinéaste que l’on retrouve plus consensuel que par le passé. On ne saurait toutefois reprocher à un metteur en scène dont les films ont régulièrement – The Game, Fight Club – invité à faire table rase du confort pour oser tenter l’expérience de sa propre vie, de vouloir, film après film, se réinventer en jouant des outils mis à sa disposition. Histoire de ne point se laisser enfermer dans une Panic Room.

Texte Jean-François Pluijgers

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