Autour de 2 sours que rapproche la mort de leur mère, Fabienne Berthaud signe une ouvre insolite, s’écartant avec bonheur des sentiers battus pour trouver sa vérité propre. Rencontre.

Le l’acte créatif, elle dit qu’il est une nécessité pour vivre. Sa biographie parle d’ailleurs pour elle, qui la voit endosser tour à tour les personnalités d’actrice, écrivain, photographe et cinéaste quand, du reste, elle ne cumule pas. Pieds nus sur les limaces, son deuxième long métrage, est ainsi adapté de son roman éponyme, paru en 2004. Entre-temps, il y a eu un premier long, Frankie, un film réalisé à l’arrache, et remarqué dans divers festivals, de Locarno à Rotterdam en passant par Toronto. Une expérience dont Fabienne Berthaud explique, 5 ans plus tard, alors qu’on la rencontre au festival de Namur, qu’elle lui a appris « que tout est possible ». Et pour cause, s’agissant d’une £uvre dont les 27 jours de tournage se sont étalés sur 3 ans, et sur laquelle elle a occupé pratiquement tous les postes, de la régie à la production en passant par les décors et les costumes, bouclant l’affaire pour 150 000 euros, en un pied de nez à ceux qui lui promettaient qu’elle n’y arriverait jamais, « n’étant pas dans le système ».

Si Pieds nus sur les limaces s’est, pour sa part, tourné dans des conditions sensiblement plus confortables – « J’ai l’impression que c’est un deuxième premier film », sourit-elle-, la réalisatrice n’est pas pour autant rentrée dans le rang, veillant jalousement sur sa singularité. « C’est difficile de trouver sa liberté dans le cinéma, observe-t-elle. Le problème, c’est comment, financièrement? Il faut aussi qu’on rentre dans des cases, mais à vouloir trop formater des films qui, parfois, se ressemblent tous, on enlève l’essence de la création. Je ne veux pas de cela. L’avantage, c’est que je sais travailler avec peu d’argent. Quand on n’a pas besoin de trop d’argent, on a la liberté. » La liberté, c’est d’ailleurs le sentiment premier à se dégager d’un film qui, s’attachant à la relation entre 2 s£urs que rapproche la mort de leur mère, s’approprie avec gourmandise les chemins de traverse de l’existence. Si l’une, Clara (Diane Krüger, déjà de Frankie) semble avoir tout sous contrôle, l’autre, Lily (Ludivine Sagnier), évolue en communion avec la nature, à l’écart des règles et contraintes, jusqu’à faire vaciller les certitudes de son aînée. Lily, Fabienne Berthaud en a eu l’inspiration alors qu’elle travaillait sur Frankie: « Je me suis rendue dans une clinique psychiatrique, où j’ai rencontré un personnage qui lui ressemblait beaucoup. Sa liberté et sa grande sensibilité m’ont interpellée. Mon travail tourne toujours autour de la même chose, à savoir la différence et ce qui fait que des gens, tout d’un coup, basculent d’un côté ou de l’autre. La normalité, la folie, qui sont les fous des autres, c’est là le c£ur de mon travail. »

Liberté essentielle

Après avoir fait l’objet d’un roman, cette différence prend, devant sa caméra, les contours physiques d’un univers fantaisiste composé avec l’artiste Valérie Delis, non sans habiter des paysages mentaux singuliers. « Le livre est dans la douleur, et là, on est plutôt dans le solaire. Le film va vers l’espoir, à l’inverse du roman, j’ai l’impression d’avoir pris les 2 personnages à une heure différente de leur existence », raconte-t-elle. A l’arrivée, l’effet est celui d’un détonateur, activé par le comportement désinhibé de Lily. « Je pense qu’on a besoin aujourd’hui, peut-être comme hier ou après-demain, de repousser les limites de ce qu’on nous impose. Un personnage comme celui-là nous dit cela également.  » Avec d’autant plus de conviction, peut-être, que la mise en scène organique de Fabienne Berthaud semble vouloir s’affranchir elle-même de carcans trop étroits – « Je suis un peu une Lily du cinéma, quelque part, acquiesce-t-elle. Je ne me mets pas de bornes, et même les acteurs, je ne veux pas qu’ils en aient. J’essaie de les mettre sur des terrains mouvants, pour qu’ils n’aient pas d’automatismes, et que l’on n’ait pas l’impression qu’ils jouent. Je déteste les gens qui jouent. »

La questionne-t-on encore sur une éventuelle inspiration qu’elle cite naturellement Cassavetes: « Avant chaque tournage, je regarde ses films. Il m’inspire, et me donne cette liberté, comme si on pouvait tout faire…  » L’essentiel, comme l’anecdotique, comme, par exemple, faire jouer… un dindon: « C’est très autobiographique. Quand j’étais petite, nous vivions à la campagne, en Normandie, et j’avais un dindon dont je me souviens toujours. Je suis très contente d’en avoir mis un dans le film: il faut partir de ce que l’on connaît pour aller vers la fiction…  »

Texte Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content