DEPUIS UN SIÈCLE, LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS CONSTITUE UNE FIGURE INCONTOURNABLE D’UN CINÉMA AMÉRICAIN PROMPT À INTERROGER SON HISTOIRE OU À EN RECYCLER LES IMAGES D’ÉPINAL. PORTRAIT DE GROUPE.

A l’inverse notamment de son pendant français, très discret sur la question -ce n’est que tout récemment que Robert Guédiguian signait Le promeneur du Champ de Mars autour de Mitterrand, avant que Xavier Durringer n’y aille de La conquête, miroir de l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, le cinéma américain s’est, de toute éternité, attaché à la figure présidentielle. Le Lincoln de Steven Spielberg, s’il fera assurément date, ne serait-ce que par le regard pénétrant qu’il porte sur un pan de l’Histoire étasunienne, à quoi il faut ajouter la prestation de Daniel Day-Lewis, absolument magistral, s’inscrit ainsi dans une tradition déjà ancienne. La seule figure emblématique de Lincoln, qui porta l’amendement abolissant l’esclavage, a fait l’objet de quantité de toiles dès le début des années 1910. Et David Wark Griffith, l’un des pères fondateurs du cinéma hollywoodien, l’immortalisera, par-delà son assassinat reconstitué dans The Birth of a Nation, à la faveur de Abraham Lincoln (1930), biographie retraçant les principaux épisodes de la vie du 16e président des Etats-Unis, qu’incarnait Walter Huston.

Signe qui ne trompe pas sur la stature du personnage, élevé au rang de légende, Lincoln reste le président qui a su, avec la plus grande constance, s’attirer les faveurs des cinéastes -tant John Ford, dans Young Mr. Lincoln, en 1939, auquel Henry Fonda imposait son format échalas, que Steven Spielberg aujourd’hui, en font ainsi une figure charismatique, sinon christique; à la mesure du combat exemplaire qu’il saura mener à terme au prix de son sacrifice. L’Amérique est prompte à exalter les mérites de ses grands hommes, et Hollywood ne fait certes pas exception à la règle, qui vêt à l’occasion les présidents d’habits providentiels. Sans surprise, George Washington, le premier d’entre tous, et Franklin Delano Roosevelt, l’homme du New Deal, comptent également parmi ceux que le cinéma a célébrés sans relâche, de manière imagée au besoin. Ainsi, le second est-il le référent implicite de Gabriel over The White House (1933), de Gregory La Cava, avec Walter Huston, acteur décidément très présidentiel, incarnant Judson Hammond, l’homme à même de tirer l’Amérique de la Grande dépression. Et l’on peut y voir le modèle dans lequel Frank Capra coula son Mr Smith Goes to Washington. Signe, du reste, que l’intérêt pour Roosevelt ne faiblit pas, il se trouve aujourd’hui (sous les traits de Bill Murray) au coeur du biopic Hyde Park on Hudson, ou Week-end Royal dans sa traduction française, dont la trame se situe à un moment clé de l’Histoire, en juin 1939…

Fort logiquement, le film historique demeure le moyen le plus commode d’envisager la fonction suprême. JFK, sous les traits de Kevin Costner, Nixon, sous ceux d’Anthony Hopkins, et George W. Bush, incarné par Josh Brolin, ont ainsi eu droit à leur biopic en bonne et due forme, fût-il critique, tous réalisés par le même cinéaste, Oliver Stone, définitivement consacré homme des présidents. Et l’on pourrait énumérer ici les films revisitant l’héritage laissé par divers chefs d’Etat -postulat valable de Thirteen Days de Roger Donaldson, recréant l’épisode de la Baie des Cochons et la part qu’y prit John Fitzgerald Kennedy (Bruce Greenwood), à Frost/Nixon de Ron Howard, sur les débats télévisés qui opposèrent le président démissionnaire (Frank Langella) à l’animateur David Frost, dont il pensait, à tort, ne faire qu’une bouchée quand celui-ci entendait lui arracher des aveux publics. Le droit d’inventaire peut se révéler critique, en effet: All the President’s Men d’Alan J. Pakula plongeait dans les méandres du Watergate, le scandale qui contraint ce même Nixon à jeter l’éponge. Voire, encore, adopter une perspective en coin: ainsi du Primary Colors de Mike Nichols, jouant avec l’image publique d’un Bill Clinton dont John Travolta campait le sosie pour la circonstance.

D’une résistance l’autre

Entre Hollywood et Washington, il y a plus qu’une association de circonstance. Et tout comme la politique a emprunté au cinéma, allant jusqu’à faire d’un acteur médiocre un président des Etats-Unis, le second a trouvé dans la première un précieux réservoir de fictions. La fonction présidentielle a, dans la foulée, été l’objet de variations multiples: moteur de comédies, par exemple, façon Dave d’Ivan Reitman, où Kevin Kline devenait président d’un jour. Ou héros sans peurs et sans reproches, ou peu s’en faut, motif présent aussi bien dans le Air Force One piloté par Harrison Ford pour Wolfgang Pedersen que dans Independence Day de Roland Emmerich avec un Président -Bill Pullman- sauveur du monde, pas moins (postulat qu’avait joliment tourné en dérision Tim Burton avec l’aide de Jack Nicholson dans son inénarrable Mars Attacks!).

Plus sérieusement on retrouvera le Président au coeur de films reflétant les questions, angoisses ou aspirations du moment. A cet égard, un Stanley Kubrick donne le ton dans Dr. Strangelove: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, satire macabre confrontant un président américain (Peter Sellers) à la perspective de l’apocalypse nucléaire, situation que l’on retrouvera une vingtaine d’années plus tard, déclinée en mode fantastique cette fois, dans le Dead Zone de David Cronenberg. L’abus de pouvoir est, pour sa part, au coeur de Absolute Power, polar finaud de Clint Eastwood, comme de Wag the Dog de Barry Levinson, satire mêlant scandale sexuel, guerre instrumentalisée et cynisme sans frein dans un cocktail explosif. Enfin, moins anecdotique qu’il n’y paraît, on notera que si Barack Obama figure, sous les traits de Orlando Eric Street, à l’affiche du prochain The Butler de Lee Daniels, l’histoire d’un majordome de la Maison-Blanche ayant vu défiler huit présidents des Etats-Unis, il aura fallu attendre 1998 avant que Hollywood, généralement moins frileuse, n’élise un président noir. C’était Morgan Freeman dans Deep Impact de Mimi Leder, qu’avait certes précédé James Earl Jones en 1972 dans The Man de Joseph Sargent -encore celui-ci ne devait-il son accession à l’investiture suprême qu’au décès du Président et à l’incapacité du vice-président. D’une résistance l’autre, d’ailleurs: The Contender de Rod Lurie mettait en scène, en 2000, les manoeuvres découlant de la décision du président américain -Jeff The Big Lebowski Bridges- de nommer une vice-présidente -l’impeccable Joan Allen. C’est Hillary Clinton, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, qui a dû apprécier…

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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