Les 400 coups

Un imposant recueil réunit les chroniques publiées par François Truffaut entre 1954 et 1958 dans la revue Arts-Spectacles. Un régal.

En 1954, un jeune critique nommé François Truffaut publie, dans les Cahiers du cinéma, un texte appelé à faire date, Une certaine tendance du cinéma français, pamphlet où il fustige la  » tradition de qualité française« , incarnée par les René Clément, Jean Delannoy ou autre Claude Autant-Lara, tout en jetant les bases de la  » politique des auteurs« , l’un des fondements de la future Nouvelle Vague. Le retentissement est considérable, attisant la jalousie d’une partie de la corporation, mais lui ouvrant aussi les colonnes de l’hebdomadaire Arts-Spectacles, où il publiera quelque 500 articles (critiques, portraits, essais théoriques, comptes-rendus de festivals…) en cinq ans -une période de transition, pour celui que Les 400 Coups imposeront bientôt comme le cinéaste majeur que l’on sait.

Les 400 coups

La plupart de ces textes font l’objet d’une remarquable anthologie établie par Bernard Bastide. C’est peu dire que l’on s’y plonge avec délice, tant la plume du critique s’y épanouit en toute liberté, directe et sans concession, détonnant dans le paysage médiatique d’alors, impensable dans celui d’aujourd’hui, tant sa virulence est grande, à quoi l’auteur ajoute toutefois esprit et, le plus souvent, sagacité. François Truffaut a le trait particulièrement acéré en effet, et la tentation serait grande de s’en tenir à un florilège de ses envolées assassines, lui qui, évoquant son activité de critique, une profession qu’il tenait en piètre estime, écrit: « Il faut bien choisir entre la lâcheté et la muflerie. J’ai choisi la muflerie. » Démonstration lorsqu’il raille l’actrice anglaise Diana Dors ( « Diana Dors ressemble à ce que peut voir Marilyn lorsqu’elle se regarde à la Foire du Trône devant un miroir déformant »), brocarde John Ford ( « Le plus surestimé des cinéastes de seconde zone ») ou dézingue, au hasard, Le Dossier noir, d’André Cayatte ( « un mauvais film et même plus mauvais que les mauvais »). Mais disposition contrebalancée par un enthousiasme guère moins mesuré, qu’il s’agisse de s’enflammer pour Bonjour Tristesse, d’Otto Preminger, ou La Ballade de Narayama, de Keisuke Kinoshita; d’exprimer son soutien opiniâtre à Jean Renoir, Max Ophuls et Sacha Guitry; de saluer l’émergence d’une nouvelle génération, celle des Roger Vadim et autre Claude Chabrol.

S’il n’est pas toujours à l’abri des contradictions ni des revirements (à l’égard d’Autant-Lara notamment), et qu’il lui arrive de piétiner la déontologie (usant du pseudonyme Robert Lachenay pour citer un certain… François Truffaut au rang des jeunes cinéastes à suivre), on trouve aussi, au fil de ces pages, l’expression d’une pensée aiguisée et cohérente sur le cinéma. La Nouvelle Vague est là, en germe; la suite appartient à l’Histoire…

Chroniques d’Arts-Spectacles 1954-1958

De François Truffaut. éditions Gallimard, Édition établie par Bernard Bastide, 530 pages.

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